ACTE V - Scène IV


Attila
Où venez-vous, madame, et qui vous enhardit
À vouloir voir ma mort qu'ici l'on me prédit ?
Venez-vous de deux rois soutenir la querelle,
Vous révolter comme eux, me foudroyer comme elle,
Ou mendier l'appui de mon juste courroux
Contre votre Ardaric qui ne veut plus de vous ?

Ildione
Il n'en mériterait ni l'amour ni l'estime,
S'il osait espérer m'acquérir par un crime.
D'un si juste refus j'ai de quoi me louer,
Et ne viens pas ici pour l'en désavouer.
Non, seigneur : c'est du mien que j'y viens me dédire,
Rendre à mes yeux sur vous leur souverain empire,
Rattacher, réunir votre vouloir au mien,
Et reprendre un pouvoir dont vous n'usez pas bien.
Seigneur, est-ce là donc cette reconnaissance
Si hautement promise à mon obéissance ?
J'ai quitté tous les miens sous l'espoir d'être à vous ;
Par votre ordre mon coeur quitte un espoir si doux,
Je me réduis au choix qu'il vous a plu me faire,
Et votre ordre le met hors d'état de me plaire !
Mon respect qui me livre aux voeux d'un autre roi
N'y voit pour lui qu'opprobre, et que honte pour moi !
Rendez, rendez-le-moi, cet empire suprême
Qui ne vous laissait plus disposer de vous-même :
Rendez toute votre âme à son premier souhait,
Recevez qui vous aime, et fuyez qui vous hait.
Honorie a ses droits ; mais celui de vous plaire
N'est pas, vous le savez, un droit imaginaire ;
Et pour vous appuyer, Mérouée a des bras
Qui font taire les droits quand il faut des combats.

Attila
Non, je ne puis plus voir cette ingrate Honorie
Qu'avec la même horreur qu'on voit une furie ;
Et tout ce que le ciel a formé de plus doux,
Tout ce qu'il peut de mieux, je crois le voir en vous ;
Mais dans votre coeur même un autre amour murmure,
Lorsque…

Ildione
Vous pourriez croire une telle imposture !
Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait que de vous obéir ?
Et par où jusque-là m'aurais-je pu trahir ?

Attila
Ardaric est pour vous un époux adorable.

Ildione
Votre main lui donnait ce qu'il avait d'aimable ;
Et je ne l'ai tantôt accepté pour époux
Que par cet ordre exprès que j'ai reçu de vous.
Vous aviez déjà vu qu'en dépit de ma flamme,
Pour vous faire empereur…

Attila
Vous me trompez, madame ;
Mais l'amour par vos yeux me sait si bien dompter,
Que je ferme les miens pour n'y plus résister.
N'abusez pas pourtant d'un si puissant empire :
Songez qu'il est encor d'autres biens où j'aspire,
Que la vengeance est douce aussi bien que l'amour ;
Et laissez-moi pouvoir quelque chose à mon tour.

Ildione
Seigneur, ensanglanter cette illustre journée !
Grâce, grâce du moins jusqu'après l'hyménée.
À son heureux flambeau souffrez un pur éclat,
Et laissez pour demain les maximes d'état.

Attila
Vous le voulez, madame, il faut vous satisfaire ;
Mais ce n'est que grossir d'autant plus ma colère ;
Et ce que par votre ordre elle perd de moments
Enfle l'avidité de mes ressentiments.

Honorie
Voyez, voyez plutôt, par votre exemple même,
Seigneur, jusqu'où s'aveugle un grand coeur quand il aime :
Voyez jusqu'où l'amour, qui vous ferme les yeux,
Force et dompte les rois qui résistent le mieux,
Quel empire il se fait sur l'âme la plus fière ;
Et si vous avez vu la mienne trop altière,
Voyez ce même amour immoler pleinement
Son orgueil le plus juste au salut d'un amant,
Et toute sa fierté dans mes larmes éteinte
Descendre à la prière et céder à la crainte.
Avoir su jusque-là réduire mon courroux,
Vous doit être, seigneur, un triomphe assez doux.
Que tant d'orgueil dompté suffise pour victime.
Voudriez-vous traiter votre exemple de crime,
Et quand vous adorez qui ne vous aime pas,
D'un réciproque amour condamner les appas ?

Attila
Non, princesse, il vaut mieux nous imiter l'un l'autre :
Vous suivez mon exemple, et je suivrai le vôtre.
Vous condamniez madame à l'hymen d'un sujet ;
Remplissez au lieu d'elle un si juste projet.
Je vous l'ai déjà dit ; et mon respect fidèle
À cette digne loi que vous faisiez pour elle,
N'ose prendre autre règle à punir vos mépris.
Si Valamir vous plaît, sa vie est à ce prix :
Disposez à ce prix d'une main qui m'est due.
Octar, ne perdez pas la princesse de vue.
Vous, qui me commandez de vous donner ma foi,
Madame, allons au temple ; et vous, rois, suivez-moi.

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