ACTE I - Scène III


Ardaric
En serons-nous toujours les malheureux objets ?
Et verrons-nous toujours qu'il nous traite en sujets ?

Valamir
Fermons les yeux, seigneur, sur de telles disgrâces :
Le ciel en doit un jour effacer jusqu'aux traces ;
Mes devins me l'ont dit ; et s'il en est besoin,
Je dirai que ce jour peut-être n'est pas loin :
Ils en ont, disent-ils, un assuré présage.
Je vous confierai plus : ils m'ont dit davantage,
Et qu'un Théodoric qui doit sortir de moi
Commandera dans Rome, et s'en fera le roi ;
Et c'est ce qui m'oblige à parler pour la France,
À presser Attila d'en choisir l'alliance,
D'épouser Ildione, afin que par ce choix
Il laisse à mon hymen Honorie et ses droits.
Ne vous opposez plus aux grandeurs d'Ildione,
Souffrez en ma faveur qu'elle monte à ce trône ;
Et si jamais pour vous je puis en faire autant…

Ardaric
Vous le pouvez, seigneur, et dès ce même instant.
Souffrez qu'à votre exemple en deux mots je m'explique.
Vous aimez ; mais ce n'est qu'un amour politique ;
Et puisque je vous dois confidence à mon tour,
J'ai pour l'autre princesse un véritable amour ;
Et c'est ce qui m'oblige à parler pour l'empire,
Afin qu'on m'abandonne un objet où j'aspire.
Une étroite amitié l'un à l'autre nous joint ;
Mais enfin nos désirs ne compatissent point.
Voyons qui se doit vaincre, et s'il faut que mon âme
À votre ambition immole cette flamme ;
Ou s'il n'est point plus beau que votre ambition
Elle-même s'immole à cette passion.

Valamir
Ce serait pour mon coeur un cruel sacrifice.

Ardaric
Et l'autre pour le mien serait un dur supplice.
Vous aime-t-on ?

Valamir
Du moins j'ai lieu de m'en flatter.
Et vous, seigneur ?

Ardaric
Du moins on me daigne écouter.

Valamir
Qu'un mutuel amour est un triste avantage,
Quand ce que nous aimons d'un autre est le partage !

Ardaric
Cependant le tyran prendra pour attentat
Cet amour qui fait seul tant de raisons d'état.
Nous n'avons que trop vu jusqu'où va sa colère,
Qui n'a pas épargné le sang même d'un frère,
Et combien après lui de rois ses alliés
À son orgueil barbare il a sacrifiés.

Valamir
Les peuples qui suivaient ces illustres victimes
Suivent encor sous lui l'impunité des crimes ;
Et ce ravage affreux qu'il permet aux soldats
Lui gagne tant de coeurs, lui donne tant de bras,
Que nos propres sujets sortis de nos provinces
Sont en dépit de nous plus à lui qu'à leurs princes.

Ardaric
Il semble à ses discours déjà nous soupçonner,
Et ce sont des soupçons qu'il nous faut détourner.
À ce refus qu'il veut disposons ma princesse.

Valamir
Pour y porter la mienne il faudra peu d'adresse.

Ardaric
Si vous persuadez, quel malheur est le mien !

Valamir
Et si l'on vous en croit, puis-je espérer plus rien ?

Ardaric
AH ! QUE NE POUVONS-NOUS ÊTRE HEUREUX L'UN ET L'AUTRE !

Valamir
Ah ! Que n'est mon bonheur plus compatible au vôtre !

Ardaric
Allons des deux côtés chacun faire un effort.

Valamir
Allons, et du succès laissons-en faire au sort.

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