ACTE IV - Scène II


Flavie
Ne vous êtes-vous point un peu trop déclarée,
Madame ? Et le chagrin de vous voir préférée
Étouffe-t-il la peur que marquaient vos discours
De rendre hommage au sang d'un roi de quatre jours ?

Honorie
Je te l'avais bien dit, que mon âme incertaine
De tous les deux côtés attendait même gêne,
Flavie ; et de deux maux qu'on craint également
Celui qui nous arrive est toujours le plus grand,
Celui que nous sentons devient le plus sensible.
D'un choix si glorieux la honte est trop visible ;
Ildione a su l'art de m'en faire un malheur :
La gloire en est pour elle, et pour moi la douleur ;
Elle garde pour soi tout l'effet du mérite,
Et me livre avec joie aux ennuis qu'elle évite.
Vois avec quel insulte et de quelle hauteur
Son refus en mes mains rejette un si grand coeur,
Cependant que ravie elle assure à son âme
La douceur d'être toute à l'objet de sa flamme ;
Car je ne doute point qu'elle n'ait de l'amour.
Ardaric qui s'attache à la voir chaque jour,
Les respects qu'il lui rend, et les soins qu'il se donne…

Flavie
J'ose vous dire plus, Attila l'en soupçonne :
Il est fier et colère ; et s'il sait une fois
Qu'Ildione en secret l'honore de son choix,
Qu'Ardaric ait sur elle osé jeter la vue,
Et briguer cette foi qu'à lui seul il croit due,
Je crains qu'un tel espoir, au lieu de s'affermir…

Honorie
Que n'ai-je donc mieux tu que j'aimais Valamir !
Mais quand on est bravée et qu'on perd ce qu'on aime,
Flavie, est-on sitôt maîtresse de soi-même ?
D'Attila, s'il se peut, tournons l'emportement
Ou contre ma rivale, ou contre son amant ;
Accablons leur amour sous ce que j'appréhende ;
Promettons à ce prix la main qu'on nous demande ;
Et faisons que l'ardeur de recevoir ma foi
L'empêche d'être ici plus heureuse que moi.
Renversons leur triomphe. Étrange frénésie !
Sans aimer Ardaric, j'en conçois jalousie !
Mais je me venge, et suis, en ce juste projet,
Jalouse du bonheur, et non pas de l'objet.

Flavie
Attila vient, madame.

Honorie
Eh bien ! Faisons connaître
Que le sang des Césars ne souffre point de maître,
Et peut bien refuser de pleine autorité
Ce qu'une autre refuse avec témérité.

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