ACTE II - Scène V


Ardaric
Pourrai-je voir la princesse à mon tour ?

Octar
Non, à moins qu'il vous plaise attendre son retour ;
Mais, à ce que ses gens, seigneur, m'ont fait entendre,
Vous n'avez en ce lieu qu'un moment à l'attendre.

Ardaric
Dites-moi cependant : vous fûtes prisonnier
Du roi des Francs, son frère, en ce combat dernier ?

Octar
Le désordre, seigneur, des champs catalauniques
Me donna peu de part aux disgrâces publiques.
Si j'y fus prisonnier de ce roi généreux,
Il me fit dans sa cour un sort assez heureux :
Ma prison y fut libre ; et j'y trouvai sans cesse
Une bonté si rare au coeur de la princesse,
Que de retour ici je pense lui devoir
Les plus sacrés respects qu'un sujet puisse avoir.

Ardaric
Qu'un monarque est heureux lorsque le ciel lui donne
La main d'une si belle et si rare personne !

Octar
Vous savez toutefois qu'Attila ne l'est pas,
Et combien son trop d'heur lui cause d'embarras.

Ardaric
Ah ! Puisqu'il a des yeux, sans doute il la préfère.
Mais vous vous louez fort aussi du roi son frère.
Ne me déguisez rien : a-t-il des qualités
À se faire admirer ainsi de tous côtés ?
Est-ce une vérité que ce que j'entends dire,
Ou si c'est sans raison que l'univers l'admire ?

Octar
Je ne sais pas, seigneur, ce qu'on vous en a dit ;
Mais si pour l'admirer ce que j'ai vu suffit,
Je l'ai vu dans la paix, je l'ai vu dans la guerre,
Porter partout un front de maître de la terre.
J'ai vu plus d'une fois de fières nations
Désarmer son courroux par leurs soumissions.
J'ai vu tous les plaisirs de son âme héroïque
N'avoir rien que d'auguste et que de magnifique ;
Et ses illustres soins ouvrir à ses sujets
L'école de la guerre au milieu de la paix.
Par ces délassements sa noble inquiétude
De ses justes desseins faisait l'heureux prélude ;
Et si j'ose le dire, il doit nous être doux
Que ce héros les tourne ailleurs que contre nous.
Je l'ai vu, tout couvert de poudre et de fumée,
Donner le grand exemple à toute son armée,
Semer par ses périls l'effroi de toutes parts,
Bouleverser les murs d'un seul de ses regards,
Et sur l'orgueil brisé des plus superbes têtes
De sa course rapide entasser les conquêtes.
Ne me commandez point de peindre un si grand roi :
Ce que j'en ai vu passe un homme tel que moi ;
Mais je ne puis, seigneur, m'empêcher de vous dire
Combien son jeune prince est digne qu'on l'admire.
Il montre un coeur si haut sous un front délicat
Que dans son premier lustre il est déjà soldat :
Le corps attend les ans, mais l'âme est toute prête.
D'un gros de cavaliers il se met à la tête,
Et l'épée à la main, anime l'escadron
Qu'enorgueillit l'honneur de marcher sous son nom.
Tout ce qu'a d'éclatant la majesté du père,
Tout ce qu'ont de charmant les grâces de la mère,
Tout brille sur ce front, dont l'aimable fierté
Porte empreints et ce charme et cette majesté.
L'amour et le respect qu'un si jeune mérite…
Mais la princesse vient, seigneur, et je vous quitte.

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