ACTE 4 - SCÈNE 1



(SERTORIUS, Thamire)

SERTORIUS
Pourrai-je voir la Reine ?

THAMIRE
Attendant qu'elle vienne,
Elle m'a commandé que je vous entretienne,
Et veut demeurer seule encor quelques moments.

SERTORIUS
Ne m'apprendrez-vous point où vont ses sentiments,
Ce que doit Perpenna concevoir d'espérance ?

THAMIRE
Elle ne m'en fait pas beaucoup de confidence ;
Mais j'ose présumer qu'offert de votre main
Il aura peu de peine à fléchir son dédain :
Vous pouvez tout sur elle.

SERTORIUS
Ah ! J'y puis peu de chose,
Si jusqu'à l'accepter mon malheur la dispose ;
Ou pour en parler mieux, j'y puis trop, et trop peu.

THAMIRE
Elle croit fort vous plaire en secondant son feu.

SERTORIUS
Me plaire ?

THAMIRE
Oui ; mais, Seigneur, d'où vient cette surprise ?
Et de quoi s'inquiète un cœur qui la méprise ?

SERTORIUS
N'appelez point mépris un violent respect
Que sur mes plus doux vœux fait régner son aspect.

THAMIRE
Il est peu de respects qui ressemblent au vôtre,
S'il ne sait que trouver des raisons pour un autre ;
Et je préférerais un peu d'emportement
Aux plus humbles devoirs d'un tel accablement.

SERTORIUS
Il n'en est rien parti capable de me nuire,
Qu'un soupir échappé ne dût soudain détruire ;
Mais la reine, sensible à de nouveaux désirs,
Entendait mes raisons, et non pas mes soupirs.

THAMIRE
Seigneur, quand un Romain, quand un héros soupire,
Nous n'entendons pas bien ce qu'un soupir veut dire ;
Et je vous servirais de meilleur truchement,
Si vous vous expliquiez un peu plus clairement.
Je sais qu'en ce climat, que vous nommez barbare,
L'amour par un soupir quelquefois se déclare ;
Mais la gloire, qui fait toutes vos passions,
Vous met trop au-dessus de ces impressions :
De tels désirs, trop bas pour les grands cœurs de Rome…

SERTORIUS
Ah ! Pour être romain, je n'en suis pas moins homme :
J'aime, et peut-être plus qu'on n'a jamais aimé ;
Malgré mon âge et moi, mon cœur s'est enflammé.
J'ai cru pouvoir me vaincre, et toute mon adresse
Dans mes plus grands efforts m'a fait voir ma faiblesse.
Ceux de la politique et ceux de l'amitié
M'ont mis en un état à me faire pitié.
Le souvenir m'en tue, et ma vie incertaine
Dépend d'un peu d'espoir que j'attends de la reine.
Si toutefois…

THAMIRE
Seigneur, elle a de la bonté ;
Mais je vois son esprit fortement irrité ;
Et si vous m'ordonnez de vous parler sans feindre,
Vous pouvez espérer, mais vous avez à craindre.
N'y perdez point de temps, et ne négligez rien ;
C'est peut-être un dessein mal ferme que le sien.
La voici. Profitez des avis qu'on vous donne,
Et gardez bien surtout qu'elle ne m'en soupçonne.

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