Acte premier - Scène III



LORD SLADA, LADY JANET.

LORD SLADA
Viens ! vois ! Ce bois semble content. Il chante, et comme nous l'aube heureuse l'embrase.

LADY JANET
Qu'éprouves-tu ?

LORD SLADA
L'ivresse. Et toi, Janet?

LADY JANET
L'extase.

LORD SLADA
Depuis trois jours je puis t'aimer en liberté ! Tu ne manques de rien, Janet ?
@LADY JANET ()(lui sautant au cou.)
Puisque je t'ai !

LORD SLADA
Un baiser.

LADY JANET
Deux !
(Ils s'embrassent.)

LORD SLADA
Sachez, madame, que vous êtes Une beauté suprême, et que de moi vous faites Plus qu'un dieu, votre esclave. Oh ! viens, tout mon bonheur !

LADY JANET
Quelle petite main vous avez, monseigneur!(Elle l'embrasse et se tourne vers le saint.)
Nous sommes mariés.

LORD SLADA
Ma Janet adorable !

LADY JANET
C'est que monsieur le saint n'a pas l'air agréable.(Aïrolo vient de reparaître derrière les arbres; il écoute et regarde sans être remarqué. Janet embrasse de nouveau Lord Slada.)
Encore ! — (À la statue.)
Oui, mariés.

AÏROLO(à part.)
Mariage d'oiseaux. Probablement.
(Il disparaît.)
@LORD SLADA ()(jetant un coup d'œil sur la mer.)
L'été calme ces grandes eaux. Dieu nous aide. Une barque est en bas. Sois tranquille. Nous trouverons moyen d'échapper de cette île. Il suffit de tromper les guetteurs un moment. Quel beau lieu! Cette mer, c'est un enchantement. C'est que, vois-tu, je sens une joie inouïe, Ma vie est dans l'azur, flottante, épanouie, Lumineuse, et mon cœur s'ouvre, et je te reçois, Et je t'aspire, esprit, femme, qui que tu sois! Car il est impossible enfin que tu contestes Cet éblouissement de tes regards célestes Qui te fait souveraine et terrible, et qui rend Insensé le pauvre homme à tes côtés errant. Oh! vivre ensemble est doux! Ton front au jour ressemble.
@LADY JANET ()(posant sa tête sur l'épaule de Lord Slada.)
Quelque chose est plus doux encor ; mourir ensemble. Le tombeau vous reprend dans sa pâle vapeur. Mourir séparément, c'est effrayant. J'ai peur Que le premier qui meurt et qui part ne rencontre Là, dehors, dans la tombe où le vrai jour se montre, Quelque ange qui l'entraîne en son vol, pour toujours, Dans l'infidélité des célestes amours, Et lui fasse oublier, dans la haute demeure, L'autre âme, l'ange à terre et sans ailes qui pleure ! On n'est pas sûr qu'un mort soit fidèle. Jurez Que vous ne mourrez pas et que vous m'aimerez!

LORD SLADA
Je le jure.

LADY JANET
Dieu même, ou toi, je te préfère ! Je n'imagine pas, n'importe en quelle sphère, De respiration, si tu n'es de moitié.

LORD SLADA
L'homme est fait de malheur, la femme de pitié. C'est pour cela, Janet, que vous m'aimez. Mon rêve Commence dans le ciel et dans vos bras s'achève, Je monte quand je viens de l'empyrée à vous, Et je ne suis jamais si haut qu'à vos genoux.
@LADY JANET ()(l'entourant de ses bras.)
Se tenir embrassés dans l'azur, quel beau songe !

LORD SLADA
Janet !

LADY JANET
Milord !

LORD SLADA
L'extase en clarté se prolonge Au-dessus de nos fronts, là-haut, n'entends-tu pas Sur nos têtes des voix, des haleines, des pas, Et n'aperçois-tu pas une lueur sacrée ? Cette forêt ébauche au loin la vague entrée Du divin paradis plein d'âmes, et de feux Qui sont des cœurs mêlés aux profonds gouffres bleus ! Viens, aspirons l'oubli sous ces branches dormantes. Ces nids sont des hymens, ces fleurs sont des amantes. Notre âme communique avec tous les frissons Des choses à travers lesquelles nous passons. Les prodiges charmants du rêve nous caressent. Viens ! aimons-nous. Le rire et les pleurs apparaissent En perles dans ta bouche, en perles dans tes yeux. Tu t'es transfigurée en un rayon joyeux. Je crois te voir fouler de vagues asphodèles. Où donc prends-tu cela que nous n'avons point d'ailes ? Je sens les miennes, moi. Je suis prêt. Si tu veux Dénouer dans l'aurore immense tes cheveux, Si tu veux t'envoler, je suis prêt à te suivre, Je te verrai planer, je me sentirai vivre, Pendant que tu feras derrière toi pleuvoir Des étoiles dans l'ombre auguste du ciel noir ! Si tu savais, je t'aime ! O Janet, mes paroles, Je les prends aux parfums, je les prends aux corolles, J'en suis ivre ; ces flots, ces rochers, ces forêts, Aident mon bégaiement, et sont là tout exprès Pour traduire à tes yeux ce que ma voix murmure. Et sais-tu ce qui sort de toute la nature, Ce qui sort de la terre et du ciel ? c'est mon cœur. Ce que je dis tout bas, ce bois le chante en chœur. Dans l'univers, qu'un songe inexprimable dore,(Il lui prend la main et la pose sur ses cheveux.)
Mets sur mon front ta main. Je suis ton protégé. Déesse, inonde-moi de ta lumière.
@LADY JANET ()(à part.)
J'ai Une faim !
@LORD SLADA ()(à part.)
Oh la soif !
(Entre Aïrolo ; son vêtement est un haillon.)

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