ACTE II - Scène V
(M. DURU, MARTHE.)
(à la porte.)
M. Duru
Oh ! quelle est cette jeune & belle Demoiselle Qui va vers cette porte ? Elle a l'air bien coquet.
Est — ce ma fille ? Mais. j'en ai peur : en effet, Elle est bien faite au moins, passablement jolie, Et cela fait plaisir. Ecoutez, je vous prie ; Où courez-vous si vite, aimable & chère enfant ?
Marthe
Je vais chez ma maîtresse, en son appartement.
M. Duru
Quoi ! vous êtes suivante ? Et de qui, ma mignonne ?
Marthe
De Madame Duru.
M. Duru
(à part.)
Je veux de la friponne Tirer quelque parti, m'instruire, si je puis.
Ecoutez.
Marthe
Quoi ! Monsieur ?
M. Duru
Savez-vous qui je suis ?
Marthe
Non ; mais je vois assez ce que vous pouvez être.
M. Duru
Je fuis l'intime ami de Monsieur votre maître, Et de Monsieur Gripon. Je peux très-aisément Vous faire ici du bien, même en argent comptant.
Marthe
Vous me ferez plaisir. Mais, Monsieur, le tems presse ; Et voici le moment de coucher ma maîtresse.
M. Duru
Se coucher quand il est neuf heures du matin ?
Marthe
Oui, Monsieur.
M. Duru
Quelle vie & quel horrible train !
Marthe
C'est un train fort honnête. Après souper on jouë j Après le jeu l'on danse ; & puis on dort.
M. Duru
J'avoue que vous me surprenez ; je ne m'attendais pas Que Madame Duru fît un si beau fracas.
Marthe
Quoi ! cela vous surprend, vous bon-homme, à votre âge ?
Mais rien n'est plus commun. Madame fait usage Des grands biens amassés par son ladre mari ; Et quand on tient maison, chacun en use ainsi.
M. Duru
Mignonne, ces discours me font peine à comprendra Qu'est — ce tenir maison ?
Marthe
Faut-il tout vous apprendre ?
D'où diable venez — vous ?
M. Duru
D'un peu loin.
Marthe
Je le voi Vous me paraissez neuf, quoiqu'antique.
M. Duru
Ma foi, Tout est neuf à mes yeux. Ma petite maîtresse Vous tenez donc maison ?
Marthe
Oui.
M. Duru
Mais de quelle espèce ?
Et dans cette maison que fait — on, s'il vous plaît ?
Marthe
De quoi vous mêlez-vous ?
M. Duru
J'y prens quelque intérêt.
Marthe
Vous, Monsieur ?
M. Duru
Oui, moi —même. Il faut que je hazarde Un peu d'or de ma poche avec cette égrillarde ; Ce n'est pas sans regret ; mais essayons enfin.
Monsieur Duru vous fait ce présent par ma main.
Marthe
Grand merci.
M. Duru
Méritez un tel effort, ma belle ; C'est à vous de montrer l'excès de votre zèle Pour le patron d'ici, le bon Monsieur Duru, Que, par malheur pour vous, vous n'avez jamais vu.
Quelqu'amant, entre nous, a, pendant son absence, Produit tous ces excès avec cette dépense !
Marthe
Quelque amant ! vous osez attaquer notre honneur ?
Quelque Amant ! A ce trait, qui blesse ma pudeur, Je ne fais qui me tient, que mes mains appliquées Ne soient sur votre face avec cinq doigts marquées.
Quelque amant, dites — vous ?
M. Duru
Eh ! pardon.
Marthe
Apprenez : Que ce n'est pas à vous à fourrer votre nez.
Dans ce que fait Madame.
M. Duru
Eh ! mais.
Marthe
Elle est trop bonne, Trop fage, trop honnête, & : trop douce personne ; Et vous êtes un sot avec vos questions.
(On sonne.)
J'y vais. Un impudent, un rodeur de maisons.
(On sonne.)
Tout — à —l'heure. Un benêt qui pense que les filles Iront lui confier les secrets des familles On sonne.
Eh ! j'y cours. Un vieux fou que la main que voila On sonne.
Devrait punir cent fois. L'on y va, l'on y va.