ACTE I - Scène I
(MADAME DURU, LE MARQUIS.)
Mad. Duru
Mais, mon très-cher Marquis, comment, en conscience.
Puis — je accorder ma fille à votre impatience, Sans l'aveu d'un époux ? Le cas est inouï.
Le Marquis
Comment ? Avec trois mots ? un bon contrat, un oui ; Rien de plus agréable & rien de plus facile.
A vos commandemens votre fille est docile ; Vos bontés m'ont permis de lui faire ma cour ; Elle a quelque indulgence, & moi beaucoup d'amour : Pour votre intime ami dès longtems je m'affiche ; Je me crois honnête homme, & je fuis assez riche.
Nous vivons fort gaîment, nous vivrons encor mieux ; Et nos jours, croyez-moi, feront délicieux.
Mad. Duru
D'accord, mais mon mari ?
Le Marquis
Votre mari m'assomme.
Quel besoin avons — nous de conseils d'un tel homme ?
Mad. Duru
Quoi ! pendant son absence ?.
Le Marquis
Ah ! les absens ont tort.
Absent depuis douze ans, c'est comme à-peu-près mort.
Si dans le fond de l'Inde il prétend être en vie, C'est pour vous amasser, avec sa ladrerie, Un bien que vous savez dépenser noblement, Je consens qu'à ce prix il foit encor vivant ; Mais je le tiens pour mort aussi — tôt qu'il s'avise De vouloir disposer de la charmante
Erise
Celle qui la forma doit en prendre le foin ; Et l'on n'arrange pas les filles de si loin.
Pardonnez.
Mad. Duru
Je fuis bonne, & vous devez connaître Que pour Monsieur Duru, mon Seigneur & mon maître Je n'ai pas un amour aveugle & violent.
Je l'aime comme il faut. pas trop fort. sensément ; Mais je lui dois respect & quelque obéïssance.
Le Marquis
Eh ! mon Dieu, point du tout ; vous vous moquez, je pense.
Qui, vous ? Vous, du respect pour un Monsieur Duru ?
Fort bien. Nous vous verrions, si nous l'en avions cru, Dans un habit de serge, en un fecond étage, Tenir, sans domestique, un fort plaisant ménage.
Vous Vous êtes Demoiselle ; & quand l'adversité, Malgré votre mérite & votre qualité, Avec Monsieur Duru vous fit en biens commune, Alors qu'il commençait à bâtir sa fortune C'était à ce Monsieur faire beaucoup d'honneur ; Et vous aviez, je crois, un peu trop de douceur, De souffrir qu'il joignît avec rude manière A vos tendres appas sa personne grossière.
Voulez — vous pas encor aller sacrifier Votre charmante Erise au fils d'un usurier ?
De ce Monsieur Gripon, son très — digne compère ?
Monsieur Duru, je pense, a voulu cette affaire : Il l'avait fort à cœur, & par respect pour lui, Vous devriez, ma foi, la conclure aujourd'hui.
Mad. Duru
Ne plaisantez pas tant, il m'en écrit encore, Et de son plein pouvoir dans sa lettre il m'honore.
Le Marquis
Eh ! de ce plein pouvoir que ne vous servez — vous Pour faire un heureux choix d'un plus honnête époux ?
Mad. Duru
Hélas ! à vos desirs je voudrais condescendre ; Ce ferait mon bonheur de vous avoir pour gendre : J'avais, dans cette idée, écrit plus d'une fois J'ai prié mon mari de laisser à mon choix Cet établissement de deux enfans que j'aime.
Monsieur Gripon me cause une frayeur extrême ; Mais, tout Gripon qu'il est, il le faut ménager, Ecrire encor dans l'Inde, examiner, son ger.
Le Marquis
Oui, voilà des raisons, des mesures commodes, Envoyer publier des bans aux Antipodes, Pour avoir dans trois ans un refus clair & net.
De votre cher mari je ne fuis pas le fait.
Du seul nom de Marquis sa grosse ame étonnée, Croirait voir sa maison au pillage donnée.
Il aime fort l'argent, il connaît peu l'amour.
Au nom du cher objet qui de vous tient le jour t. De la vive amitié qui m'attache à sa mère, De cet amour ardent qu'elle voit sans colère, Daignez former, Madame, un si tendre lien Ordonnez mon bonheur, j'ose dire le sien.
Qu'à jamais à vos pieds je passe ici ma vie.
Mad. Duru
Oh çà, vous aimez donc ma fille à la folie ?
Le Marquis
Si je l'adore, ô ciel ! Pour croître mon bonheur >, Je compte à votre fils donner aussi ma fœur.
Vous aurez quatre enfans, qui d'une ame soumise, D'un cœur toujours à vous.