ACTE I - Scène V



(MAD. DURU, LE MARQUIS, ERISE, DAMIS, M. GRIPON, MARTHE.)

Mad. Duru
Si tard, Monsieur Gripon, quel sujet vous attire ?

M. Gripon
Un bon sujet.

Mad. Duru
Comment ?

M. Gripon
Je m'en vais vous le dire.

Damis
Quelque présent de l'Inde ?

M. Gripon
Oh ! vraiment oui. Voici L'or'. L'ordre de votre père, & je le porte ici.
Ma fille est votre bru, mon fils est votre gendre ; Ils le feront du moins, & sans beaucoup attendre.
Lirez. (Il lui donne une lettre.)

Mad. Duru
L'ordre est très net, que faire ?

M. Gripon
A votre chef Obéir sans replique, & tout bâcler en bref.
Il reviendra bientôt ; & même, par avance, Son commis vient régler des comptes d'importance.
J'ai peu de tems à perdre ; ayez la charité De dépêcher la chose avec célérité.

Mad. Duru
La proposition, mes enfans, doit vous plaire.
Comment la trouvez — vous ?

Damis, Erise ( Ensemble.)
Tout comme vous, ma mère.

Le Marquis
(à Mr. Gripon.)
De nos communs desirs il faut presser l'effet.
Ah ! que de cet hymen mon cœur est satisfait !

M. Gripon
Que ça vous satisfasse, ou que ça vous déplaise, Ça doit importer peu.

Le Marquis
Je ne me sens pas d'aise.

M. Gripon
Pourquoi tant d'aise ?

Le Marquis
Mais t'ai cette affaire à cœur.

M. Gripon
Vous, à cœur mon affaire ?

Le Marquis
Oui, je fuis serviteur De votre ami Duru, de toute la famille, De Madame sa femme, & surtout de sa fille.
Cet hymen est si cher, si précieux pour moi !…
Je fuis le bon ami du logis.

M. Gripon
Par ma foi, Ces amis du logis font de mauvais augure.
Madame, sans amis, hâtons — nous de conclure.

Erise
Quoi, si — tôt ?

Mad. Duru
Sans donner le tems de consulter, De voir ma bru, mon gendre, & sans les présenter ?
C'est pouffer avec nous vivement votre pointe.

M. Gripon
Pour se bien marier il faut que la conjointe N'ait jamais entrevû son conjoint.

Mad. Duru
Oui, d'accord, On s'en aime bien mieux ; mais je voudrais d'abord, Moi, mère, Se qui dois voir le parti qu'il faut prendre, Embrasser votre fille & voir un peu mon gendre.

M. Gripon
Vous les voyez en moi, corps pour corps, trait pour trait Et ma fille Phlipotte est en tout mon portrait.

Mad. Duru
Les aimables enfans !

Damis
Oh ! Monsieur, je vous jure Qu'on ne sentit jamais une flamme plus pure.

M. Gripon
Pour ma Phlipotte ?

Damis
Hélas ! pour cet objet vainqueur Qui règne sur mes sens, & m'a donné son cœur.

M. Gripon
On ne t'a rien donné : je ne puis te comprendre ; Ma fille, ainsi que moi, n'a point l'ame si tendre.
(à Erise.)
Et vous, qui souriez, vous ne me dites rien ?

Erise
Je dis la même chose, & je vous promets bien De placer les devoirs, les plaisirs de ma vie, A plaire au tendre amant à qui mon cœur me lie.

M. Gripon
Il n'est point tendre amant, vous répondez fort mal.

Le Marquis
Je vous jure qu'il l'est.

M. Gripon
Oh ! quel original !
L'ami de la maison, mêlez — vous, je vous prie, Un peu moins de la fête & des gens qu'on marie

Le Marquis
lui fait de grandes révérences.
(à Mad. Duru.)
Or çà, j'ai réussi dans ma commission.
Je vois pour votre époux votre soumission ; Il ne faut à présent qu'un peu de signature.
J'amènerai demain le futur, la future.
Vous aurez des enfans, souples, respectueux, Grands ménagers, enfin on fera content d'eux.
Il est vrai qu'ils n'ont pas les grands airs du beau monde.

Mad. Duru
C'est une bagatelle ? & mon espoir se fonde Sur les leçons d'un père, & sur leurs sentimens, Qui valent cent fois mieux que ces dehors charmans.

Damis
J'aime déja leur grace & simple & naturelle.

Erise
Leur bon sens dont leur père est le parfait modèle.

Le Marquis
Je leur crois bien du goût.

M. Gripon
Ils n'ont rien de cela.
Que diable ici fait — on de ce beau Monsieur là ?
(à Mad. Duru.)
A demain donc, Madame ; une noce frugale Préparera sans bruit l'union conjugale.
Il est tard, & le soir jamais nous ne sortons.

Damis
Eh ! que faites — vous donc vers le foir ?

M. Gripon
Nous dormons.
On se lève avant jour ; ainsi fait votre père.
Imitez-le dans tout pour vivre heureux sur terre.
Soyez sobre, attentif à placer votre argent ; Ne donnez jamais rien, & prêtez rarement.
Demain de grand matin, je reviendrai, Madame.

Mad. Duru
Pas si matin.

Le Marquis
Allez, vous nous ravissez l'ame.

M. Gripon
Cet homme me déplaît. Dès demain je prétens Que l'ami du logis déniche de céans.
Adieu.

Marthe
(L'arrêtant par le bras.)
Monsieur, un mot.

M. Gripon
Eh quoi ?

Marthe
Sans vous déplaire, Peut-on vous proposer une excellente affaire ?

M. Gripon
Proposez.

Marthe
Vous donnez aux enfans du logis Phlipotte votre fille, & Phlipot votre fils ?

M. Gripon
Oui.

Marthe
L'on donne une dot en pareille avanture ?

M. Gripon
Pas toûjours.

Marthe
Vous pourriez, & je vous en conjure, Partager par moitié vos généreux présens.

M. Gripon
Comment ?

Marthe
Payez la dot & gardez vos enfans.

M. Gripon
(à Mad. Duru)
Madame, il nous faudra chasser cette donzelle ; Et l'ami du logis ne me plait pas plus qu'elle.
(Il s'en va & tout le monde lui fait la révérence)

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