ACTE II - Scène VIII



(M. DURU, LE MARQUIS revenant avec ERISE.)

Erise
EH ! mon Dieu, quel lutin, Quand on va se coucher, tempête à cette porte ?
Qui peut crier ainsi de cette étrange forte ?

Le Marquis
Faites donc moins de bruit, ne vous a-t-on pas dit, Qu'a— Qu'après qu'on a dansé l'on va se mettre au lit.
Jurez plus bas tout seul.

M. Duru
Je ne peux plus rien dire.
Je suffoque.

Erise
Quoi donc ?

M. Duru
Est-ce un rêve, un délire ?
Je vengerai l'affront fait avec tant d'éclat.
Juste ciel ! & comment son frère l'Avocat Peut — il souffrir céans cette honte inouïe, Sans plaider ?

Erise
Quel est donc cet homme, je vous prie ?

Le Marquis
Je ne sais ; il paraît qu'il eil : extravagant ; Votre père, dit-il, l'a pris pour son agent.

Erise
D'où vient que cet agent fait tant de tintamarre ?

Le Marquis
Ma foi, je n'en fais rien ; cet homme est si bizarre !

Erise
Est-ce que mon mari, Monsieur, vous a fâché ?

M. Duru
Son mari !… J'en fuis quitte encor à bon marché.
Cest là votre mari ?

Erise
Sans doute, c'est lui — même.

M. Duru
Lui, le fils de Gripon ?

Erise
C'est mon mari, que j'aime.
A mon père, Monsieur, lorsque vous écrirez, Peignez — lui bien les nœuds dont nous sommes ferrés.

M. Duru
Que la fiévre le serre !

Le Marquis
Ah ! daignez condescendre !.

M. Duru
Maître Isaac Gripon m'avait bien fait entendre Qu'à votre mariage on pensait en effet ; Mais il ne m'a pas dit que tout cela fût fait.

Le Marquis
Eh bien, je vous en fais la confidence entière.

M. Duru
Mariés ?

Erise
Oui, Monsieur.

M. Duru
De quand ?

Le Marquis
La nuit dernière.

M. Duru
regardant

Le Marquis
Votre époux, je l'avouë, est un fort beau garçon ; Mais il ne m'a point l'air d'être fils de Gripon.

Le Marquis
Monsieur fait qu'en la vie il est fort ordinaire De voir beaucoup d'enfans tenir peu de leur père.
Par exemple, le fils de ce Monsieur Duru En est tout différent, n'en a rien.

M. Duru
— Qui l'eût cru ?
Serait — il point aussi marié lui ?

Erise
Sans doute.

M. Duru
Lui ?

Le Marquis
Ma fœur dans ses bras en ce moment — ci goute Les premières douceurs du conjugal lien.

M. Duru
Votre fœur ?

Le Marquis
Oui, Monsieur.

M. Duru
Je n'y conçois plus rien.
Le compère Gripon m'eût dit cette nouvelle.

Le Marquis
Il regarde cela comme une bagatelle.
C'est un homme occupé toûjours du denier dix, Noyé dans le calcul, fort distrait.

M. Duru
Mais jadis Il avait l'esprit net.

Le Marquis
Les grands travaux & l'âge Altèrent la mémoire ainsi que le visage.

M. Duru
Ce double mariage est donc fait ?

Erise
Oui, Monsieur.

Le Marquis
Je vous en donne ici ma parole d'honneur, N'avez — vous donc pas vû les débris de la noce ?

M. Duru
Vous m'avez tous bien l'air d'aimer le fruit précoce, D'anticiper l'hymen qu'on avait projetté.

Le Marquis
Ne nous soupçonnez pas de cette indignité, Cela ferait criant.

M. Duru
Oh ! la faute est légère.
Pourvu qu'on n'ait pas fait une trop forte chère, Que la noce n'ait pas horriblement coûté, On peut vous pardonner cette vivacité.
Vous paraissez d'ailleurs un homme assez aimable.

Erise
Oh ! très fort.

M. Duru
Votre fœur est-elle aussi passable ?

Le Marquis
Elle vaut cent fois mieux.

M. Duru
Si la chose est ainsi, Monsieur Duru pourrait excuser tout ceci.
Je vais enfin parler à sa mère, & pour cause.

Erise
Ah ! gardez — vous — en bien, Monsieur ; elle repose.
Elle est trop fatiguée ; elle a pris tant de foins.

M. Duru
Je m'en vais donc parler à son fils.
Erise

Erise
Encor moins.

Le Marquis
Il est trop occupé.

M. Duru
L'avanture est fort bonne.
Ainsi, dans ce logis, je ne peux voir personne ?

Le Marquis
Il est de certains cas où des hommes de sens Se garderont toûjours d'interrompre les gens.
Vous voilà bien au fait ; je vais avec Madame, Me rendre aux doux transports de la plus pure flamme,…
Ecrivez à son père un détail si charmant.

Erise
Marquez-lui mon respect & mon contentement.

M. Duru
Et son contentement ! Je ne fais si ce père Doit être aussi content d'une si prompte affaire.
Quelle éveillée !

Le Marquis
Adieu. Revenez vers le soir, Et soupez avec nous.

Erise
Bon jour, jusqu'au revoir.

Le Marquis
Serviteur.

Erise
Toute à vous.

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