ACTE II - Scène III
(M. DURU, M. GRIPON)
M. Duru
Quelle réception ! après douze ans d'absence !
Comme tout se corrompt, comme tout change en France !
M. Gripon
Bon jour, compère.
M. Duru
0 ciel !
M. Gripon
Il ne me répond point.
(Il rêve.)
M. Duru
Quoi ! ma femme infidelle à ce point !
A quel horrible luxe elle s'est emportée !
Cette maison, je crois, du Diable est habitée ; Et j'y mettrais le feu, sans les dépens maudits Qu'à brûler les maisons il en coûte à Paris.
M. Gripon
Il parle longtems seul, c'est figne de démence.
M. Duru
Je l'ai bien mérité par ma fotte imprudence.
A votre femme un mois confiez votre bien, Au bout de trente jours vous ne retrouvez rien.
Je m'étais noblement privé du nécessaire : M'en voilà bien payé : que résoudre, que faire ?
Je fuis assassiné, confondu, ruiné.
M. Gripon
Bon jour, compère. Eh bien, vous avez terminé Assez heureusement un assez long voyage.
Je vous trouve un peu vieux.
M. Duru
Je vous dis que j'enrage.
M. Gripon
Oui, je le crois, il est fort trisse de vieillir ; On a bien moins de tems pour pouvoir s'enrichir.
M. Duru
Plus d'honneur, plus de régle, & les loix violées !…
M. Gripon
Je n'ai violé rien, les choses sont réglées.
J'ai pour vous dans mes mains, en beaux & bons papiers Trois cent deux mille francs, dix — huit fols neuf deniers.
Revenez — vous bien riche ?
M. Duru
Oui.
M. Gripon
Moquez-vous du monde.
M. Duru
Oh ! j'ai le cœur navré d'une douleur profonde.
J'apporte un million tout au plus ; le voila.
(Il montre son porte — feuille.)
Je fuis outré, perdu.
M. Gripon
Quoi ! n'est — ce que cela ?
Il faut se consoler.
M. Duru
Ma femme me ruine.
Vous voyez quel logis & quel train. La coquine !.
M. Gripon
Sois le maître chez toi, mets — la dans un couvent.
M. Duru
Je n'y manquerai pas. Je trouve en arrivant Des laquais de six pieds, tous yvres de la veille, Un portier à moustache, armé d'une bouteille, Qui, me voyant paffer, m'invite en bégayant, A venir déjeuner dans son appartement.
M. Gripon
Chasse tous ces coquins.
M. Duru
C'est ce que je veux faire.
M. Gripon
C'est un profit tout clair. Tous ces gens là, compère ; Sont nos vrais ennemis, dévorent notre bien ; Et pour vivre à son aise, il faut vivre de rien.
M. Duru
Ils m'auront ruïné ; cela me perce l'ame.
Me conseillerais — tu de surprendre ma femme ?
M. Gripon
Tout comme tu voudras.
M. Duru
Me conseillerais — tu D'attendre encor un peu, de rester inconnu ?
M. Gripon
Selon ta fantaisie.
M. Duru
Ah, le maudit ménage !
Comment a — t — on reçu l'offre du mariage ?
M. Gripon
Oh ! fort bien : sur ce point nous ferons tous contens ; On aime avec transport déjà mes deux enfans.
M. Duru
Passe. On n'a donc point eu de peine à satisfaire A mes ordres précis ?
M. Gripon
De la peine, au contraire ; Ils ont avec plaisir conclu soudainement.
Ton fils a pour ma fille un amour véhément ; Et ta fille déjà brûle, sur ma parole, Pour mon petit Gripon.
M. Duru
Du moins cela console.
Nous mettrons ordre au reste.
M. Gripon
Oh ! tout est résolu, Et cet après-midi l'hymen fera conclu.
M. Duru
Mais, ma femme ?
M. Gripon
Oh ! parbleu, ta femme est ton affaire.
Je te donne une bru charmante & ménagère J'ai toûjours à ton fils destiné ce bijou ; Et nous les marierons sans leur donner un fou.
M. Duru
Fort bien.
M. Gripon
L'argent corrompt la jeunesse volage.
Point d'argent : c'est un point capital en ménage.
M. Duru
Mais ma femme ?
M. Gripon
Fais-en tout ce qu'il te plaira.
M. Duru
Je voudrais voir un peu comme on me recevra, Quel air aura ma femme.
M. Gripon
Et pourquoi ? que t'importe ?
M. Duru
Voir là si la nature est au moins assez forte, Si le fang parle assez dans ma fille & mon fils, Pour reconnaître en moi le maître du logis.
M. Gripon
Quand tu te nommeras, tu te feras connaître.
Est-ce que le fang parle ? Et ne dois-tu pas être Honnêtement content, quand, pour comble de biens, Tes dociles enfans vont époufer les miens ?
Adieu : j'ai quelque dette active & d'importance, Qui devers le midi demande ma présence ; Et je reviens, compère, après un court dîner, Moi, ma fille & mon fils, pour conclure & signer.