ACTE II - Scène I
(M. GRIPON, DAMIS.)
M. Gripon
Comment ! dans ce logis est-on fou, mon garçon ?
Quel tapage a-t-on fait la nuit dans la maison ?
Quoi ! deux tables encor impudemment dressées !
Des débris d'un festin, des chaises renversées, Des laquais étendus ronflans sur le plancher ; Et quatre violons, qui ne pouvant marcher, S'en vont en fredonnant à tâtons dans la ruë !
N'es-tu pas tout honteux ?
Damis
Non ; mon ame est émuë D'un sentiment si doux, d'un si charmant plaisir, Que devant vous encor je n'en saurais rougir.
M. Gripon
D'un sentiment si doux ! que diable veux — tu dire ?
Damis
Je dis que notre hymen à la famille inspire Un délire de joye, un transport inouï.
A peine hier au foir sortites — vous d'ici, Que livrés par avance au lien qui nous presse, Après un long souper, la joye & la tendresse, Préparant à l'envi le lien conjugal, Nous Nous avons cette nuit ici donné le bal.
M. Gripon
Voilà trop de fracas avec trop de dépense.
Je n'aime point qu'on ait du plaisir par avance.
Cette vie à ton père à coup sûr déplaira.
Et que feras — tu donc quand on te mariera ?
Damis
Ah ! si vous connaissiez cette ardeur vive & pure, Ces traits, ces feux sacrés, l'ame de la nature Cette délicatesse & ces ravissemens, Qui ne sont bien connus que des heureux amans !
Si vous saviez.
M. Gripon
Je fais que je ne puis comprendre Rien de ce que tu dis.
Damis
Votre cœur n'est point tendre.
Vous ignorez les feux dont je fuis consumé.
Mon cher Monsieur Gripon, vous n'avez point aimé.
M. Gripon
Sifait, sifait.
Damis
Comment ? Vous aussi, vous ?
M. Gripon
Moi — même.
Damis
Vous concevez donc bien l'emportement extrême, Les douceurs.
M. Gripon
Et oui, oui, j'ai fait, à ma façon, L'amour un jour ou deux à Madame Gripon : Mais cela n'était pas comme ta belle flamme, Ni tes discours de fou que tu tiens sur ta femme.
Damis
Je le crois bien ; enfin, vous me le pardonnez
M. Gripon
Ouida, quand les contrats feront faits & signés.
Allons, avec ta mère il faut que je m'abouche ; Finissons tout.
Damis
Ma mère en ce moment se couche.
M. Gripon
Quoi ? Ta mère ?
Damis
Approuvant le goût qui nous conduit, Elle a dans notre bal dansé toute la nuit.
M. Gripon
Ta mère est folle.
Damis
Non, elle est très respectable, Magnifique avec goût, douce, tendre, adorable.
M. Gripon
Ecoute ; il faut ici te parler clairement.
Nous attendons ton père, il viendra promptement ; Et déja son commis arrive en diligence, Pour régler sa recette, ainsi que la dépense.
Il fera très fâché du train qu'on fait ici, Et tu comprens fort bien que je le fuis aussi.
C'est dans un autre esprit que Phlipotte est nourrie ; Elle a trente-sept ans, fille honnête, accomplie, Qui, feule avec mon fils, compose ma maison ; L'été sans éventail, & l'hyver sans manchon ; Blanchit, repasse, coud, compte comme Barême, Et fait manquer de tout aussi — bien que moi — même.
Prens exemple sur elle, afin de vivre heureux.
Je reviendrai ce soir vous marier tous deux.
Tu parais bon enfant, & ma fille est bien née.
Mais, croi — moi, ta cervelle eii un peu mal tournée.
Il faut que la maison foit sur un autre pié.
Di — moi. Ce grand flandrin, qui m'a tant ennuyé, Qui toûjours de côté me fait la révérence, Vient — il ici souvent ?
Damis
Oh ! fort souvent.
M. Gripon
Je pense que pour cause il est bon qu'il n'y revienne plus.
Damis
Nous suivrons sur cela vos ordres absolus.
M. Gripon
C'est très bien dit. Mon gendre a du bon, & j'espère Moriginer bientôt cette tête légère ; Mais surtout plus de bal : je ne prétens plus voir Changer la nuit en jour, & le matin en soir.
Damis
Ne craignez rien.
M. Gripon
Eh bien, où vas — tu ?
Damis
Satisfaire Le plus doux des devoirs & l'ardeur la plus chère.
M. Gripon
Il brûle pour Phlipotte.
Damis
Après avoir dansé, Plein des traits amoureux dont mon cœur est blessé, Je vais, Monsieur, je vais me coucher. Je me flatte Que ma passion vive, autant que délicate, Me fera peu dormir en ce fortuné jour, Et je ferai longtems éveillé par l'amour.
(Ils s'embrassent.)