JOURNEE 3 - SCENE 8


La Reine
Entrez, entrez, mylords. J'ai véritablement beaucoup de plaisir à vous voir tous aujourd'hui. Bien, bien, les hommes de justice, par ici, plus près, plus près. — où sont les sergens d'armes de la chambre des lords, Harriot et Llanerillo ?
Ah ! Vous voilà, messieurs. Soyez les bienvenus. Tirez vos épées. Bien. Placez-vous à droite et à gauche de cet homme.
Il est votre prisonnier.

Fabiani
Madame, quel est mon crime ?

La Reine
Mylord Gardiner, mon savant ami, vous êtes chancelier d'Angleterre, nous vous faisons savoir que vous ayez à vous assembler en diligence, vous et les douze lords commissaires de la chambre étoilée, que nous regrettons de ne pas voir ici. Il se passe des choses étranges dans ce palais. Écoutez, mylords, Madame Élisabeth a déjà suscité plus d'un ennemi à notre couronne.
Il y a eu le complot de Pietro Caro qui a fait le mouvement d'Exeter, et qui correspondait secrètement avec Madame Élisabeth,
par le moyen d'un chiffre taillé sur une guitare. Il y a eu la trahison de Thomas Wyat, qui a soulevé le comté de Kent. Il y a
eu la rébellion du duc de Suffolk, lequel a été saisi dans le creux d'un arbre après la défaite des siens. Il y a aujourd'hui
un nouvel attentat. écoutez tous. Aujourd'hui, ce matin, un homme s'est présenté à mon audience. Après quelques paroles, il a
levé un poignard sur moi. J'ai arrêté son bras à temps. Lord Chandos et monsieur le bailli d'Amont ont saisi L'homme. Il a déclaré
avoir été poussé à ce crime par lord Clanbrassil.

Fabiani
Par moi ? Cela n'est pas. Oh ! Mais voilà une chose affreuse ! Cet homme n'existe pas. On ne retrouvera pas cet homme. Qui est-il ?
Où est-il ?

La Reine
Il est ici.

Gilbert (sortant du milieu des soldats derrière lesquels il est resté caché jusqu'alors.)
C'est moi.

La Reine
En conséquence des déclarations de cet homme, nous, Marie, reine, nous accusons devant la chambre aux étoiles cet autre homme, Fabiano Fabiani, comte de Clanbrassil, de haute trahison et d'attentat régicide sur notre personne impériale et sacrée.

Fabiani
Régicide, moi ! C'est monstrueux ! Oh ! Ma tête s'égare ! Ma vue se trouble ! Quel est ce piège ? Qui que tu sois, misérable, oses-tu affirmer que ce qu'a dit La Reine est vrai ?

Gilbert
Oui.

Fabiani
Je t'ai poussé au régicide, moi ?

Gilbert
Oui.

Fabiani
Oui ! Toujours oui ! Malédiction ! C'est que vous ne pouvez pas savoir à quel point cela est faux, messeigneurs ! Cet homme sort de l'enfer. Malheureux ! Tu veux me perdre ; mais tu ignores que tu te perds en même temps. Le crime dont tu me charges te charge aussi. Tu me feras mourir, mais tu mourras. Avec un seul mot, insensé, tu fais tomber deux têtes, la mienne et la tienne.
Sais-tu cela ?

Gilbert
Je le sais.

Fabiani
Mylords, cet homme est payé…

Gilbert
Par vous. Voici la bourse pleine d'or que vous m'avez donnée pour le crime. Votre blason et votre chiffre y sont brodés.

Fabiani
Juste ciel ! Mais on ne représente pas le poignard avec lequel cet homme voulait, dit-on, frapper La Reine. Où est le poignard ?

Lord Chandos
Le voici.

Gilbert (à Fabiani.)
C'est le vôtre. — vous me l'avez donné pour cela. On en retrouvera le fourreau chez vous.

Le Lord Chancelier
Comte de Clanbrassil, qu'avez-vous à répondre ? Reconnaissez-vous cet homme ?

Fabiani
Non.

Gilbert
Au fait, il ne m'a vu que la nuit. Laissez-moi lui dire deux mots à l'oreille, madame ; cela aidera sa mémoire.
(Il s'approche de Fabiani. Bas.)
Tu ne reconnais donc personne aujourd'hui, mylord ? Pas plus L'homme outragé que la femme séduite. Ah ! La Reine se venge,
mais L'homme du peuple se venge aussi. Tu m'en avais défié, je crois ! Te voilà pris entre les deux vengeances.
Mylord, qu'en dis-tu ? Je suis Gilbert, le ciseleur !

Fabiani
Oui ! Je vous reconnais. Je reconnais cet homme, mylords. Du moment où j'ai affaire à cet homme, je n'ai plus rien à dire.

La Reine
Il avoue !

Le Lord Chancelier (à Gilbert.)
D'après la loi normande et le statut vingt-cinq du roi Henri VIII, dans les cas de lèse-majesté au premier chef, l'aveu ne sauve pas le complice. N'oubliez point que c'est un cas où La Reine n'a pas le droit de grâce, et que vous mourrez sur l'échafaud comme celui que vous accusez. Réfléchissez. Confirmez-vous tout ce que vous avez dit ?

Gilbert
Je sais que je mourrai, et je le confirme.

Jane (à part.)
Mon dieu ! Si c'est un rêve, il est bien horrible !

Le Lord Chancelier (à Gilbert.)
Consentez-vous à réitérer vos déclarations la main sur l'évangile ?
(Il présente l'évangile à Gilbert, qui y pose la main.)

Gilbert
Je jure, la main sur l'évangile, et avec ma mort prochaine devant les yeux, que cet homme est un assassin ; que ce poignard, qui est le sien, a servi au crime ; que cette bourse, qui est la sienne, m'a été donnée par lui pour le crime.
Que Dieu m'assiste ! C'est la vérité !

Le Lord Chancelier (à Fabiani.)
Mylord, qu'avez-vous à dire ?

Fabiani
Rien. Je suis perdu !

Simon Renard (bas à La Reine.)
Votre majesté a fait mander le bourreau ; il est là.

La Reine
Bon, qu'il vienne.
(Les rangs des gentilshommes s'écartent, et l'on voit paraître le bourreau vêtu de rouge et de noir, portant sur l'épaule une longue épée dans son fourreau.)

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