(Le bord de la Tamise. Une grève déserte. Un vieux parapet en ruine cache le bord de l'eau. à droite, une maison de pauvre apparence à l'angle de cette maison, une statuette de la vierge, au pied de laquelle une étoupe brûle dans un treillis de fer.) (Au fond, au-delà de la Tamise, Londres. On distingue deux hauts édifices, la tour de Londres et Westminster.) (Le jour commence à baisser. Plusieurs hommes groupés çà et là sur la grève.)
Lord Chandos
Vous avez raison, mylord. Il faut que ce damné italien ait ensorcelé La Reine ne peut plus se passer de lui. Elle ne vit que par lui, elle n'a de joie qu'en lui, elle n'écoute que lui. Si elle est un jour sans le voir, ses yeux deviennent languissans, comme du temps où elle aimait le Cardinal Polus, vous savez ?
Simon Renard
Très-amoureuse, c'est vrai, et par conséquent très-jalouse.
Lord Chandos
L'italien l'a ensorcelée !
Lord Montagu
Au fait, on dit que ceux de sa nation ont des philtres pour cela.
Lord Clinton
Les espagnols sont habiles aux poisons qui font mourir, les italiens aux poisons qui font aimer. Le Fabiani alors est tout à la fois espagnol et italien. La Reine est amoureuse et malade. Il lui a fait boire des deux.
Lord Montagu
Ah ça, en réalité, est-il espagnol ou italien ?
Lord Chandos
Il paraît certain qu'il est né en Italie, dans la Capitanate, et qu'il a été élevé en Espagne. Il se prétend allié à une grande famille espagnole. Lord Clinton sait cela sur le bout du doigt
Lord Clinton
Un aventurier. Ni espagnol, ni italien. Encore moins anglais, dieu merci ! Ces hommes qui ne sont d'aucun pays n'ont point de pitié pour les pays quand ils sont puissans !
Lord Montagu
Ne disiez-vous pas La Reine malade, Chandos ? Cela ne l'empêche pas de mener vie joyeuse avec son favori.
Lord Clinton
Vie joyeuse ! Vie joyeuse ! Pendant que La Reine rit, le peuple pleure. Et le favori est gorgé. Il mange de l'argent et boit de l'or, cet homme ! La Reine lui a donné les biens de Lord Talbot, du grand Lord Talbot ! La Reine l'a fait comte de Clanbrassil et baron de Dinasmonddy, ce Fabiano Fabiani qui se dit de la famille espagnole de Penalver, et qui en a menti ! Il est pair d'Angleterre comme vous, Montagu, comme vous, Chandos, comme Stanley, comme Norfolk, comme moi, comme le roi ! Il a la jarretière comme l'infant de Portugal, comme le roi de Danemarck, comme Thomas Percy, septième comte de Northumberland ! Et quel tyran que ce tyran qui nous gouverne de son lit ! Jamais rien de si dur n'a pesé sur l'Angleterre. J'en ai pourtant vu, moi qui suis vieux ! Il y a soixante-dix potences neuves à Tyburn ; les bûchers sont toujours braise et jamais cendre ; la hache du bourreau est aiguisée tous les matins et ébréchée tous les soirs. Chaque jour c'est quelque grand gentilhomme qu'on abat. Avant-hier c'était Blantyre, hier Northcurry, aujourd'hui South-Reppo, demain Tyrconnel. La semaine prochaine ce sera vous, Chandos, et le mois prochain ce sera moi. Mylords ! Mylords ! C'est une honte et c'est une impiété que toutes ces bonnes têtes anglaises tombent ainsi pour le plaisir d'on ne sait quel misérable aventurier qui n'est même pas de ce pays ! C'est une chose affreuse et insupportable de penser qu'un favori napolitain peut tirer autant de billots qu'il en veut de dessous le lit de cette reine ! Ils mènent tous deux joyeuse vie, dites-vous. Par le ciel ! C'est infâme ! Ah ! Ils mènent joyeuse vie, les amoureux, pendant que le coupe-tête à leur porte fait des veuves et des orphelins ! Oh ! Leur guitare italienne est trop accompagnée du bruit des chaînes ! Madame La Reine! Vous faites venir des chanteurs de la chapelle d'Avignon, vous avez tous les jours dans votre palais des comédies, des théâtres, des estrades pleines de musiciens. Pardieu, madame, moins de joie chez vous, s'il vous plaît, et moins de deuil chez nous. Moins de baladins ici, et moins de bourreaux là. Moins de tréteaux à Westminster et moins d'échafauds à Tyburn !
Lord Montagu
Prenez garde. Nous sommes loyaux sujets, My Lord Clinton. Rien sur La Reine, tout sur Fabiani.
Simon Renard (posant la main sur l'épaule de Lord)
Clinton. Patience !
Lord Clinton
Patience ! Cela vous est facile à dire à vous, Monsieur
Simon Renard
Vous êtes bailli d'Amont en Franche-Comté, sujet de l'empereur et son légat à Londres. Vous représentez ici le prince d'Espagne, futur mari de La Reine. Votre personne est sacrée pour le favori. Mais nous, c'est autre chose voyez-vous ? Fabiani, pour vous, c'est le berger ; pour nous, c'est le boucher.
(La nuit est tout-à-fait tombée.)
Simon Renard
Cet homme ne me gêne pas moins que vous. Vous ne craignez que pour votre vie, je crains pour mon crédit, moi. C'est bien plus. Je ne parle pas, j'agis. J'ai moins de colère que vous, mylord, j'ai plus de haine. Je détruirai le favori.
Lord Montagu
oh ! Comment faire ! J'y songe tout le jour.
Simon Renard
Ce n'est pas le jour que se font et se défont les favoris des reines, c'est la nuit.
Lord Chandos
Celle-ci est bien noire et bien affreuse !
Simon Renard
Je la trouve belle pour ce que j'en veux faire.
Lord Chandos
Qu'en voulez-vous faire ?
Simon Renard
Vous verrez. My Lord Chandos, quand une femme règne, le caprice règne. Alors la politique n'est plus chose de calcul, mais de hasard. On ne peut plus compter sur rien. Aujourd'hui n'amène plus logiquement demain. Les affaires ne se jouent plus aux échecs, mais aux cartes.
Lord Clinton
Tout cela est fort bien, mais venons au fait. Monsieur le bailli, quand nous aurez-vous délivrés du favori ? Cela presse. On décapite demain Tyrconnel.
Simon Renard
Si je rencontre cette nuit un homme comme j'en cherche un, Tyrconnel soupera avec vous demain soir
Lord Clinton
Que voulez-vous dire ? Que sera devenu Fabiani ?
Simon Renard
Avez-vous de bons yeux, mylord ?
Lord Clinton
Oui, quoique je sois vieux et que la nuit soit noire.
Simon Renard
Voyez-vous Londres de l'autre côté de l'eau ?
Lord Clinton
Oui, pourquoi ?
Simon Renard
Regardez bien. On voit d'ici le haut et le bas de la fortune de tout favori, Westminster et la tour de Londres.
Lord Clinton
Eh bien ?
Simon Renard
Si dieu m'est en aide, il y a un homme qui au moment où nous parlons est encore là, (il montre Westminster.)
et qui demain à pareille heure sera ici. (Il montre la tour.)
Que dieu vous soit en aide !
Lord Montagu
Le peuple ne le hait pas moins que nous. Quelle fête dans Londres le jour de sa chute !
Nous nous sommes mis entre vos mains, monsieur le bailli, disposez de nous. Que faut-il faire ?
Simon Renard (montrant la maison près de l'eau.)
Vous voyez bien tous cette maison. C'est la maison de Gilbert, l'ouvrier ciseleur. Ne la perdez pas de vue. Dispersez-vous avec vos gens, mais sans trop vous écarter. Surtout ne faites rien sans moi.
Lord Chandos
C'est dit.
(Tous sortent de divers côtés.)
Simon Renard (resté seul.)
Un homme comme celui qu'il me faut n'est pas facile à trouver.
(Il sort. Entrent Jane et Gilbert se tenant sous le bras ; ils vont du côté de la maison. Joshua Farnaby les accompagne, enveloppé d'un manteau.)
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