Acte III - Scène III



(GÉVAUDAN ALFRED, LAURE, PUIS SAINT-GALMIER, PLUCHEUX ET DEUX GARDIENS, PUIS LE MÉLODISTE)

LAURE
Saint-Galmier !

GÉVAUDAN
Sapristi !… j'aurais voulu éviter cette rencontre !… Comment lui dire ? C'est très délicat !… j'aurais préféré traiter ça par lettre…

PLUCHEUX(paraissant au fond, avec Saint-Galmier, suivi des deux gardiens.)
Oui, M. le docteur !… ils sont ici… (Le gardien porte la table à l'avant-scène à gauche ; Plucheux a apporté la chaise, qu'il place à gauche de la table, les deux objets profil au public.)

SAINT-GALMIER(une serviette d'avocat sous le bras.)
Ah bien ! pas de crise, rien ?

PLUCHEUX
Non ! l'autre dame seulement !… On est en train de l'arroser !

SAINT-GALMIER
Ça ne lui fera pas de mal !… (Plucheux remonte et reste au fond ainsi que le gardien pendant ce qui suit. )

GÉVAUDAN
Mon cher Saint-Galmier…

SAINT-GALMIER(posant sa serviette sur la table.)
Asseyez-vous !

GÉVAUDAN
J'allais vous le dire !… Mon cher Saint-Galmier… les jours se suivent et ne ressemblent pas…

SAINT-GALMIER
C'est bien ! attendez que je vous questionne !

GÉVAUDAN
Eh bien, j'aime autant ça !… Je lui répondra !… c'est plus commode !

SAINT-GALMIER(tirant un papier de sa serviette qu'il dépose sur la table et s'asseyant.)
Il faut d'abord que j'interroge le dossier !

GÉVAUDAN
Il n'a pas l'air de faire attention à nous !

SAINT-GALMIER(parcourant ses papiers.)
Voyons !… "Famille Choquant… Delirium tremens… résultat d'une ivrognerie invétérée."

LAURE(à Gévaudan.)
Je t'assure que tu devrais aborder la question.

GÉVAUDAN
Tout à l'heure !… il est en train de dépouiller sa correspondance !

SAINT-GALMIER(à Gévaudan. )
Dites donc ! Choquart ! Choquart aîné !

GÉVAUDAN(à part, regardant autour de lui ainsi que Laure et Alfred.)
Il appelle quelqu'un ?

SAINT-GALMIER(répétant.)
Choquart !

GÉVAUDAN
Eh bien ! où est-il cet animal de Choquart ! Hé ! Choquart !

LAURE ET ALFRED
Choquart !

SAINT-GALMIER(à Gévaudan. )
Qu'est-ce que vous avez à appeler Choquart ? C'est à vous que je parle ?

GÉVAUDAN
À moi ? Pourquoi diable m'appelle-t-il Choquart !

SAINT-GALMIER
Dites-mois, est-ce l'absinthe ou l'alcool qui vous a mis dans cet état-là ?

GÉVAUDAN
Quoi ?

SAINT-GALMIER
Eh bien, oui !… avec quoi vous soûlez-vous ?

TOUS
Qu'est-ce qu'il dit ?

GÉVAUDAN(à part.)
Je crois que c'est lui qui est soûl !

SAINT-GALMIER
Vous ne m'entendez pas, Choquart ?

GÉVAUDAN
D'abord, je vous prie de ne pas m'appeler Choquart.

SAINT-GALMIER(se soulevant.)
Mon ami, je vous appelerai comme il me plaira.

GÉVAUDAN(se soulevant également.)
Ah ?… ah ?… Eh bien, c'est bon ! (Se rasseyant. À Laure et à Alfred.)
Ça m'est égal, je l'appelerai Tartempion !

SAINT-GALMIER
Voyons, Choquart !

GÉVAUDAN
Quoi, Tartempion ?

SAINT-GALMIER
Tartempion ! Pauvre garçon ! Appelez-moi docteur ! Je vais le mettre sur son dada, pour voir dans quel état il est ! Eh bien, Choquart ?

GÉVAUDAN
Quoi, Tartempion !

SAINT-GALMIER(à part.)
Il y tient ! Voyons… avez-vous toujours vos idées de mariage ?

ALFRED(bas à Gévaudan.)
Vas-y !… il te tend la perche !

GÉVAUDAN(se levant. )
C'est embêtant d'être l'aîné ! C'est toujours moi qui porte la parole ! Mon Dieu, mon Dieu, mon cher Saint-Galmier, je vous l'ai dit : les jours se suivent et ne se ressemblent pas !… Qui trop embrasse mal étreint ! Tel dit blanc aujourd'hui et noir le lendemain.

SAINT-GALMIER(à part.)
Ah ! il est bien atteint ! Tirez la langue !

GÉVAUDAN
Ah ! il faut que… enfin, je veux bien lui faire cette concession… Or donc, mon cher Saint- Galmier… Sapristi ! ce n'est pas commode pour parler…

SAINT-GALMIER(lui regardant la langue.)
Voyons !… la langue est belle !

GÉVAUDAN(s'inclinant, la langue pendante tout en parlant. )
Je la tiens de ma mère !…

SAINT-GALMIER
Rentrez ça !

GÉVAUDAN
Merci !… Je recommence par dire que ma sœur vous trouve charmant…

SAINT-GALMIER(lui montrant ses mains. )
Combien de doigts ?

GÉVAUDAN
Eh ! bien, cinq ! vous ne les voyez donc pas ! Je le crois un peu toqué ! Enfin je viens vous dire la chose en deux mots…

SAINT-GALMIER
Attendez !… Allez vous asseoir. Je vais leur appliquer mon système ! la guérison des maladies nerveuses par la danse !… Faites venir le mélodiste.

GÉVAUDAN(qui ne comprend pas.)
Le mélodiste ?

SAINT-GALMIER(à part. )
C'est un traitement souverain !… J'ai remarqué qu'en faisant sauter ou danser le malade…

PLUCHEUX(rentrant au fond suivi d'un gardien qui tient un cornet à pistons.)
Voilà le mélodiste. (Il sort.)

SAINT-GALMIER(au gardien. )
Bien ! une polka, s'il vous plaît… (Le gardien, derrière Saint-Galmier, se met à jouer une polka.)

GÉVAUDAN
Il va nous donner un concert ?…

SAINT-GALMIER(à Gévaudan.)
Maintenant expliquez-moi votre affaire…

GÉVAUDAN
Mais monsieur joue.

SAINT-GALMIER
Ça ne fait rien !

GÉVAUDAN(parlant pendant que le cornet à pistons joue. )
Enfin ! je veux bien moi !… mais ce n'est pas poli !… Or donc, nous sommes venus, mon frère, ma sœur et moi… Sapristi, que c'est difficile de parler en musique.

SAINT-GALMIER
Dansez !

GÉVAUDAN
Hein ?

SAINT-GALMIER
Quand vous me parlez, habituez-vous à danser.

GÉVAUDAN
Quel braque ! Eh ! bien, voilà mon cher Saint-Galmier… Certainement votre famille est très honorable… et nous aurions été enchantés d'en faire partie ! Mais nous avons réfléchi… nous ne nous marions plus. Je le disais justement tout à l'heure à M. le maire. (Tout en dansant, il envoie un renfoncement à Plucheux, qui le dos tourné, ne s'attend à rien et manque de tomber.)

SAINT-GALMIER
M. le maire ?

GÉVAUDAN(dansant.)
Et puis, s'il faut vous le dire, mon frère ne trouve pas Rachel jolie.

ALFRED(s'avançant en dansant.)
Pardon, je n'ai pas dit ça !… J'ai dit que je la trouvais un peu fanée pour moi… Voilà tout !

GÉVAUDAN(dansant toujours.)
Pardon !… Tu ne l'as pas dit !… Tu m'as fait comprendre que tu n'en voulais pas !

ALFRED(même jeu.)
C'est pas la même chose ! Tu nous fais toujours dire ce qu'on ne dit pas !

LAURE(s'avançant entre eux deux, en dansant.)
Je vous en prie ! ne vous disputez pas !

ALFRED
Eh ! c'est lui qui…

GÉVAUDAN
Non ! c'est le petit !… Ouf ! que j'ai chaud !

SAINT-GALMIER(à part.)
Comme la danse amène le calme dans leurs esprits ! Ça va mieux, n'est-ce pas ?… Ça vous repose.

GÉVAUDAN
Ça repose ! Oui !… Ça repose en fatiguant !

ALFRED ET LAURE
Oh ! oui !… Ouf !

SAINT-GALMIER(au cornet à pistons.)
Vous pouvez vous retirer ! (Le mélodiste sort pendant que Plucheux et le gardien reportent la table et la chaise au fond et rangent les tabourets occupés par les Gévaudan.)

GÉVAUDAN(à Saint-Galmier.)
Dites donc !… au moins, vous ne nous en voulez pas de ce que je viens de vous dire ?

SAINT-GALMIER
Comment donc ?

GÉVAUDAN
Eh bien ! puisque tout est rompu, nous n'avons plus qu'à prendre congé de vous… Mon cher Saint-Galmier…

LAURE ET ALFRED(remontant.)
Au revoir ! au revoir !

SAINT-GALMIER
Comment au revoir !… mais on ne sort pas d'ici comme ça !… il faut d'autres formalités !

GÉVAUDAN
Encore !… Il y a donc aussi des formalités pour les ruptures !

SAINT-GALMIER (À PART.)
Ils sont bons !… ils veulent s'en aller comme ça !… Plucheux !

PLUCHEUX(venant du fond avec le gardien.)
Monsieur !…

GÉVAUDAN
Tiens ! le maire.

SAINT-GALMIER
Une douche écossaise à la femme, un bain chaud pour Choquart aîné, et un bain froid pour le petit Choquart ! Allez vous baigner.

TOUS
Hein !

ALFRED
Comment, nous baigner !

GÉVAUDAN
Laisse donc ! C'est une des formalités de la rupture ! Le bain est évidemment un symbole pour nous dire que notre mariage est dans l'eau.

PLUCHEUX
Allons, venez vous déshabiller !… je vais vous préparer vos bains.

ALFRED
Comment ! c'est le maire qui prépare les bains !

GÉVAUDAN
Qu'est-ce qui t'étonne ?… Tu n'as donc jamais entendu parler des bains de mer…

PLUCHEUX
Allons ! venez ! (On fait sortir Gévaudan, Laure et Alfred par le fond.)

SAINT-GALMIER
Vite ! préparez les bains !

PLUCHEUX
Voilà ! voilà ! (Il va à une baignoire et ouvre le robinet.)

SAINT-GALMIER
Celui-ci frappé, un bain frappé… oui, ça sera bien comme ça, et celui-ci très chaud, ce qu'il y a de plus chaud. Voyons celui-là… très bien, ce n'est pas un bain, c'est un sorbet… et celui-ci ?…

PLUCHEUX
Cinquante degrés de chaleur, si ça ne suffit pas… (Il éclabousse Saint-Galmier.)

SAINT-GALMIER
Faites donc attention…

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