ACTE I - Scène X
(LES MÊMES, SÉRAPHIN)
SÉRAPHIN(paraissant, un rasoir à la main, un côté de la figure barbouillé de savon.)
Hein !… Qu'est-ce qu'il y a ?
GÉVAUDAN(saluant à plusieurs reprises ainsi qu'Alfred et Laure.)
Monsieur l'agent… j'ai bien l'honneur…
SÉRAPHIN
Bonjour ! bonjour ! Ces domestiques sont assommants ! On dirait qu'on est à leur service. Asseyez-vous !
GÉVAUDAN(gagnant la gauche. )
Oui, monsieur l'agent. Asseyons-nous. Monsieur l'agent, nous venons…
SÉRAPHIN(brusquement.)
Ne parlez pas, vous me feriez couper. (Gévaudan soumis, retourne à sa place. Moment de silence. Séraphin achève de se raser, puis va au lavabo au fond et se débarbouille.)
GÉVAUDAN(bas à Laure.)
Arrange tes cheveux sur le front… tu es toute décoiffée. (Nouveau moment de silence.)
GÉVAUDAN(qui a suivi tous les mouvements de Séraphin, le voyant prendre l'essuie-mains.)
Eh ! monsieur l'agent ?
SÉRAPHIN
Chut ! Je vous ai dit de ne pas parler.
GÉVAUDAN
Oui, monsieur l'agent !
SÉRAPHIN(s'essuyant la figure avec l'essuie-mains, et redescendant.)
Là ! maintenant, qu'est-ce que vous vouliez me dire ?
GÉVAUDAN(très bon enfant.)
Mais je voulais vous dire… que nous nous sommes essuyé les pieds avec !
SÉRAPHIN(rejetant l'essuie-mains loin de lui. )
Ah ! pouah ! Vous auriez bien pu me prévenir.
GÉVAUDAN
Dame ! vous nous avez défendu de parler !
SÉRAPHIN
Qu'est-ce que c'est que ces manières ! Ce n'est pas un essuie-pieds !… Vous êtes encore propres, vous !
GÉVAUDAN(entre ses dents. )
Ils sont étonnants !… Ils vous disent d'essuyer vos pieds, on les essuie… et ils ne sont pas contents !…
SÉRAPHIN(allant à son bureau et s'asseyant.)
Voyons ! Qu'est-ce que vous voulez ?
GÉVAUDAN(faisant l'aimable.)
Eh ! eh ! vous devez bien le deviner… cher et honorable agent !
SÉRAPHIN
Vous voulez que je vous place ?
GÉVAUDAN
Voilà ! Eh ! eh ! Il a des mots drôles.
SÉRAPHIN(ouvrant son registre. )
Voyons ! vos noms ?
GÉVAUDAN(se levant ainsi que Laure et Alfred.)
Voilà ! Mademoiselle est ma sœur, et puis ça, c'est mon frère !
SÉRAPHIN
Je ne vous demande pas ça ! Vous ! qui êtes-vous ?
GÉVAUDAN
Mais, je suis leur frère à tous les deux !
SÉRAPHIN(à part.)
Ils m'ont l'air d'en avoir une couche !
GÉVAUDAN
Je suis de Loches…
LAURE ET ALFRED
Nous aussi !
SÉRAPHIN
Eh ! Il fallait donc le dire ! Messieurs et mademoiselle de Loches !
GÉVAUDAN
Non ! pardon ! Gévaudan.
SÉRAPHIN
Ah ! bon ! "De Loches-Gévaudan."
GÉVAUDAN
Non ! Gévaudan tout court !
SÉRAPHIN
Alors, qui est-ce qui est Deloche là-dedans ?
TOUS
Nous.
SÉRAPHIN
Eh bien, c'est ce que je disais : Deloche-Gévaudan. Vous vous appelez Deloche et Gévaudan.
GÉVAUDAN
Eh ! non ! C'est notre pays !
SÉRAPHIN
Le Gévaudan ?
GÉVAUDAN
Mais non ! Loches ! Il est bête cet agent !
SÉRAPHIN
Eh ! qu'est-ce qui vous demande votre pays ? Voyons ! avez-vous déjà fait du service ?
GÉVAUDAN
Je suis de la classe 62.
SÉRAPHIN
Je ne vous demande pas ça ! Je vous demande si vous avez servi !
GÉVAUDAN
Eh bien, oui ! sept ans !
SÉRAPHIN
Où ça ?
GÉVAUDAN
Au 25e Dragons !
SÉRAPHIN
Ah ! çà, est-ce que vous avez bientôt fini ! Vous m'avez l'air d'un fumiste, vous !
GÉVAUDAN(indigné. )
Fumiste !… Je suis droguiste.
SÉRAPHIN(à part.)
Droguiste ! Et il veut se placer ! Ça n'a donc pas été les affaires ?
GÉVAUDAN
Pourquoi ça ?
SÉRAPHIN
Dame ! puisque je vous vois ici !
GÉVAUDAN(à Laure et à Alfred.)
Est-il bête ! On est droguiste… Est-ce qu'on n'est pas homme tout de même ?
SÉRAPHIN
Après tout, ça vous regarde ! Euh ! Feriez-vous un bon chasseur ?
GÉVAUDAN
Non ! Je suis myope ! Qu'est-ce que ça peut lui faire ?
SÉRAPHIN(à part.)
Il est très décousu !
GÉVAUDAN
Seulement, je pêche à la ligne.
SÉRAPHIN
Ah ! quelle huître !… Mais je m'en fiche que vous pêchiez à la ligne !
GÉVAUDAN
Ah ?… bon ! Il n'est pas pêcheur… Eh bien, cher et honorable agent, vous le savez comme moi, la droguerie est la fille de la médecine.
SÉRAPHIN
Bon ! Qu'est-ce qu'il raconte, maintenant ?
GÉVAUDAN
La droguerie, c'est moi, c'est la médecine qu'il me faut !
SÉRAPHIN
Vous voulez vous purger ? On ne se purge pas ici !
GÉVAUDAN
Qu'est-ce qui vous parle de se purger ? Je voudrais de préférence que vous me fassiez entrer dans une famille de médecin.
SÉRAPHIN(à part.)
De médecin ! de médecin ! Mais au fait !… le docteur Saint-Galmier ! un maître d'hôtel, une femme de chambre, un groom ! Voilà mon affaire ! Si je lui collais cette fournée-là ! Dites donc ! Ça vous irait-il de rentrer dans la même famille ?
GÉVAUDAN
Dans la même famille ! Mais c'est le rêve !
LAURE
Ne pas nous quitter !
TOUS ( s'embrassant.)
Ah ! mon frère ! Ah ! ma sœur ! Ah ! mon frère !
SÉRAPHIN
Tiens ! Ils s'embrassent ! Eh bien, ils sont bêtes, mais ils ont bon cœur ! Je crois que ça fera de braves domestiques !… Et puis, s'ils sont mauvais, on les flanquera à la porte…
GÉVAUDAN(à Séraphin.)
Dites donc ! Une question ! Attends, ma sœur. Ce sont des gens bien au moins que vous nous proposez là ?…
SÉRAPHIN
Parbleu ! la famille du docteur Saint-Galmier !
GÉVAUDAN(remontant à gauche vers Alfred et Laure.)
À la bonne heure ! parce que, sans cela !… je les flanque à la porte, moi.
SÉRAPHIN(à part. )
Il est superbe !
GÉVAUDAN
D'ailleurs, nous verrons. (Bruit au fond.)
SÉRAPHIN(remontant au fond.)
Vous ne pouviez pas mieux dire : car je crois que les voilà !
LAURE(à part.)
Nos prétendus !… Ah ! mon Dieu !
GÉVAUDAN(gagnant la droite, très agité.)
Laure ! Tes cheveux ! tes cheveux !… Alfred, tes gants ! (Laure se précipite devant la glace de droite.)
ALFRED(gagnant la droite.)
Ah ! mon Dieu !… Je n'en ai pas. Prête-m'en un !
GÉVAUDAN
Voilà le gauche !