Scène VII



CLARICE, LISETTE.

LISETTE
Quoi ! toute seule, Madame ?

CLARICE
Oui, Lisette.

LISETTE (en riant, et lui marquant du bout du doigt)
Il est ici.

CLARICE
Qui ?

LISETTE
Vous ne m'entendez pas ?

CLARICE
Non.

LISETTE
Eh ! cet aimable jeune homme qui vous rendit hier un petit service de si bonne grâce.

CLARICE
Ce jeune officier ?

LISETTE
Eh oui.

CLARICE
Eh bien ! qu'il y soit, que veux-tu que j'y fasse ?

LISETTE
C'est qu'il vous cherche, et si vous voulez l'éviter, il ne faut pas rester ici.

CLARICE
L'éviter ! Est-ce que tu crois qu'il me parlera ?

LISETTE
Il n'y manquera pas, la petite aventure d'hier le lui permet de reste.

CLARICE
Va, va, il ne me reconnaîtra seulement pas.

LISETTE
Hum ! vous êtes pourtant bien reconnaissable et de l'air dont il vous lorgna hier, je vais gager qu'il vous voit encore ; ainsi prenons par là.

CLARICE
Non, je suis trop lasse, il y a longtemps que je me promène.

LISETTE
Oui-da, un bon quart d'heure à peu près.

CLARICE
Mais pourquoi me fatiguerais-je à fuir un homme qui, j'en suis sûre, ne songe pas plus à moi que ne je songe à lui ?

LISETTE
Eh mais ! c'est bien assez qu'il y songe autant.

CLARICE
Que veux-tu dire ?

LISETTE
Vous ne m'avez encore parlé de lui que trois ou quatre fois.

CLARICE
Ne te figurerais-tu pas que je ne suis venue seule ici que pour lui donner occasion de m'aborder ?

LISETTE
Oh ! il n'y a pas de plaisir avec vous, vous devinez mot à mot ce qu'on pense.

CLARICE
Que tu es folle !

LISETTE (riant)
Si vous n'y étiez pas venue de vous-même, je devais vous y mener, moi.

CLARICE
M'y mener ! Mais vous êtes bien hardie de me le dire !

LISETTE
Bon ! je suis encore bien plus hardie que cela, c'est que je crois que vous y seriez venue.

CLARICE
Moi ?

LISETTE
Sans doute, et vous auriez raison, car il est fort aimable, n'est-il pas vrai ?

CLARICE
J'en conviens.

LISETTE
Et ce n'est pas là tout, c'est qu'il vous aime.

CLARICE
Autre idée !

LISETTE
Oui-da, peut-être que je me trompe.

CLARICE
Sans doute, à moins qu'on ne te l'ait dit, et je suis persuadée que non, qui est-ce qui t'en a parlé ?

LISETTE
Son valet m'en a touché quelque chose.

CLARICE
Son valet ?

LISETTE
Oui.

CLARICE (quelque temps sans parler, et impatiente)
Et ce valet t'a demandé le secret, apparemment ?

LISETTE
Non.

CLARICE
Cela revient pourtant au même, car je renonce à savoir ce qu'il vous a dit, s'il faut vous interroger pour l'apprendre.

LISETTE
J'avoue qu'il y a un peu de malice dans mon fait, mais ne vous fâchez pas, Ergaste vous adore, Madame.

CLARICE
Tu vois bien qu'il ne sera pas nécessaire que je l'évite, car il ne paraît pas.

LISETTE
Non, mais voici son valet qui me fait signe d'aller lui parler. Irai-je savoir ce qu'il me veut ?

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