Margot
Je suis prête. Tiens, vous êtes seul?
Lavernié
Oui. Ah çà! mais regardez-moi donc un peu. Vous pleurez?
Margot
C'est fini. Votre bras.
Lavernié
Votre mouchoir.
Margot
Pourquoi faire?
Lavernié
Donnez toujours. (Elle obéit. Lavernié lui séchant les yeux:)
Beaux yeux mouillés, auxquels on a fait de la peine! Si on ne dirait pas des pervenches, l'été, à quatre heures du matin! Qu'est-ce qu'il y a?
Margot
Rien.
Lavernié
Qu'est-ce qu'il y a?… Un peu de franchise, sacrebleu! Vous n'avez pas confiance en moi?
Margot
Oh! que si!
Lavernié (amusé.)
Elle a bien dit ça!… Un bon point à la jeune Margot. Allons, venez vous asseoir là, près de moi, et causons tous les deux. Qu'est-ce qu'il y a, encore une fois?
Margot (à voix basse.)
Je veux retourner à l'atelier.
Lavernié (étonné.)
A l'atelier?… Où ça?
Margot
Chez Mme Thibaut.
Lavernié
Qui, Mme Thibaut?
Margot
Mon ancienne patronne, la dame de la rue d'Aboukir: "Plumes et fleurs", près de la rue Montmartre. J'y étais encore mieux qu'ici. Je n'y gagnais pas des mille et des cent, cependant, et je peux me vanter d'en avoir boulotté, des cornets de pommes de terre frites et des moules à huit pour un sou! sans compter qu'il y a des moments, l'hiver, après qu'on a veillé, où c'est rudement dur de se lever à sept heures pour être à huit à l'atelier. N'importe, c'est le métier d'honnête fille qui veut ça!
Lavernié
Oui, il a quelques exigences.
Margot
Oh! s'il ne s'agissait que de se lever à la lampe, de déjeuner quand ça se trouve et de dîner quand ça se rencontre, on pourrait encore s'entendre. Seulement, voilà: il y a le coeur, l'imbécile, le stupide coeur!
Lavernié
Si c'est du vôtre que vous parlez, ne dites pas de mal de cet innocent. Il ne vous a jamais donné que de bons conseils.
Margot
Il ne m'a fait faire que des sottises!
Lavernié
Vous êtes jalouse, vous.
Margot
Je voudrais bien.
Lavernié
C'est fini de me prendre pour une bête?
Margot (protestant.)
Oh!
Lavernié
C'est fini?… Voyons, Margot, pourquoi manquer de sincérité? Quel besoin de machiner son âme comme un théâtre, d'y adapter des trappes où on ne se prend pas le pied et des jeux de glace qui ne trompent personne, quand il serait si simple de dire: "J'ai du chagrin, Lavernié; j'aime mon amant qui ne m'aime pas; je lui suis fidèle et il me trompe. " Oui, mon mignon, voilà comment parle un bébé qui n'a pas honte de son coeur pur, de son coeur ingénu et tendre. Et Lavernié, qui est un bon garçon, en somme, prend dans ses mains les petites pattes de Margot…
Margot (émue.)
Henri…
Lavernié
la gronde, la sermonne, la raisonne, fait à ses grands yeux les gros yeux, et lui crie d'une voix courroucée: Qu'est-ce qui m'a bâti une toquée pareille?… Voulez-vous bien ne plus pleurer! Votre amant vous adore, nigaude! (Changeant de ton.)
Car la voilà, la vérité: il vous aime, je vous jure qu'il vous aime, et quant à sa fidélité, j'en répondrais comme de la vôtre. Mais regardez-moi donc en face, sapristoche! Est-ce que j'ai l'air, oui ou non, d'un monsieur qui sait ce qu'il dit?
Margot
Vous ne savez surtout ce que vous faites… Votre amitié me gâte, comme toujours. Seulement, vous vous trompez…(Muette interrogation de Lavernié. Poursuivant:)
en tout, ou à peu près. Je suis fidèle. Oh! çà!… Quant au reste… Ecoutez: vous me demandiez tout à l'heure si j'avais confiance en vous? Vous allez voir à quel point: Henri, je n'aime pas mon amant.
Lavernié (ironique.)
Au contraire.
Margot
Vous ne le croyez pas?
Lavernié
Non, mon gros. D'autant moins que, si je le croyais, je ne comprendrais pas, je l'avoue…
Margot
Pourquoi je suis devenue sa maîtresse?
Lavernié
Dame!
Margot
Je suis devenue sa maîtresse par la raison que je suis incapable d'être la mienne. Il voulait; je ne voulais pas; à la fin, j'ai bien voulu: voilà tout le roman de mes amours qui est, en même temps, toute l'histoire de ma vie. Je ne veux pas; on veut; à la fin, je veux bien: c'est aussi simple que cela et voilà, en deux coups de crayon, le portrait de votre petite amie. Ce n'est pas de chance, d'être ainsi bâtie. Que voulez-vous que j'y fasse? On ne se refait pas. Du reste, la chance et moi…
Geste vague.
Lavernié (se moquant.)
Ça, c'est pour faire l'intéressante.
Margot
Je ne fais pas l'intéressante; je dis seulement: "La chance et moi…", parce que vraiment, la chance et moi… Jamais je n'ai eu de chance; jamais. A la maison, maman me battait sous prétexte que je faisais la noce. A l'atelier, on se moquait de moi parce que, justement, je n'avais pas d'amoureux et que, par-dessus le marché, je ne trouve rien à répondre quand on me tourne en ridicule. Je ne sais que pleurer! Ce n'est pas de ma faute!… Tout cela, inévitablement, devait me livrer, un jour ou l'autre, au premier passant venu qui me tendrait les bras. Ce fut Charles qui passa. J'étais à plaindre: il me plaignit. Il en eut l'air, du moins, mais je n'en demandais pas plus, car c'est le malheur de ma vie de m'en remettre aux apparences et de croire les gens sur parole. Tous les soirs, à la sortie du travail, je le trouvais qui m'attendait au coin de la rue Vide-Gousset et de la place des Victoires. Nous nous en revenions ensemble par le Métro, et, des fois, avant de se quitter, comme c'était dans la belle saison, on s'arrêtait à prendre un petit quinquina, chez un troquet de Ménilmontant, où il y a des tables sous les arbres. On était bien, on était seuls… La fraîcheur tombait, comme elle tombe; la nuit venait, comme elle vient; on entendait de temps en temps siffler au loin les trains de Ceinture, comme à présent ceux de Vincennes… (Baissant la voix, comme honteuse.)
Ça fait qu'un soir je me suis laissé prendre la main, un autre soir la taille, un autre soir la bouche… comme, toute petite, je me laissais prendre mes joujoux, mes sous, mes images, mon dessert, faute de savoir me défendre. Je n'ai jamais su me défendre. Je ne peux pas; on me demande, je donne.
Lavernié (apitoyé.)
Misère!
Margot
Ensuite, ma foi, je crois bien que le bon Dieu m'a punie, car ça n'a guère bien tourné, mon équipée!… Que voulez-vous, c'est l'ordre et la marche avec moi, je commence par avoir confiance, je prends bon espoir, j'y mets du mien… -- si vous saviez comme j'ai peu d'exigence, je ne demande qu'à être heureuse, je suis contente avec un rien!… -- et puis, un beau matin… clic! c'est mon bonheur qui me casse dans les doigts, comme du verre. Est-ce bête, hein? Enfin, c'est comme ça. Bref, au bout de six semaines, je savais à quoi m'en tenir: c'était la vie abominable.
Lavernié
Ça n'a pas traîné!
Margot (avec douceur.)
Non…
Lavernié
Pauvre enfant!… Alors?
Margot
Alors, j'ai tenu le coup de mon mieux, tendant le dos, espérant des lendemains meilleurs, comptant que ma douceur naturelle, ma bonne grâce, ma soumission, finiraient bien, un jour ou l'autre, par avoir le dernier mot. D'autant plus que j'étais toute prête à l'aimer en reconnaissance des choses gentilles qu'il avait d'abord faites pour moi, et que je me sentais toute bête, avec mon petit sentiment sur les bras, dont je ne savais plus quoi faire… A la fin, mes yeux se sont ouverts, j'ai compris que je perdrais mon temps et, du même coup, j'ai perdu mon courage. On se lasse, vous comprenez, des rebuffades continuelles et des mauvais procédés. Sans compter, n'est-ce pas, que si on est venu au monde avec une figure pas très belle et pas plus d'esprit qu'un petit chat, ce n'est pas une raison suffisante pour qu'on vous en fasse le reproche depuis le Jour de l'An jusqu'à la Saint-Sylvestre. Je vous le dis, Henri, croyez-moi: l'amour tenterait en vain de forcer une porte que gardent si jalousement l'injustice et la méchanceté. Il n'est pas ici chez lui! Il n'habite pas cette maison, ou s'il y est…
Lavernié
S'il y est?
Margot
… il y est bien caché.
(Elle se lève.)
Lavernié (de qui une pensée a traversé l'esprit.)
Qu'est-ce que vous voulez dire?
Margot
Rien de plus.
Lavernié
Bien vrai?
Margot
Sans doute.
Lavernié
Vous me cachez quelque chose.
Margot (qui commence à se troubler.)
Non.
Lavernié
Si.
Margot
Non.
Lavernié
Vous aimez quelqu'un.
Margot
Moi?
Lavernié
Oui, vous.
Margot
Quelle plaisanterie!
Lavernié (pesant sur les mots.)
Vous aimez quelqu'un.
Margot
Vous êtes fou.
Lavernié (lui prenant les mains.)
Regardez-moi en face.
Margot
Henri!
Lavernié (avec autorité.)
Là! Dans les yeux.
Margot
Mais je vous regarde… mais je vous jure… mais quelle idée!… Je n'aime personne! personne! personne!
Lavernié
Qui est-ce?
Margot (qui se débat.)
On nous attend, venez.
Lavernié
Qui est-ce?
Margot
Lâchez mes mains…
Lavernié
Qui est-ce?
Margot
Je ne vous le dirai pas. Vous ne le saurez jamais! (Eclatant en sanglots.)
Je veux retourner à l'atelier! Je veux retourner à l'atelier!… Lâchez-moi, je vous en supplie!…
(Brusquement, Lavernié comprend. Sa loyauté s'émeut, et, d'un mouvement rapide, il a lâché les mains de Margot.)
(Celle-ci s'éloigne à pas lents, gagne la porte par où elle est venue.)
Lavernié (la regarde s'éloigner; on le sent en proie à une lutte intérieure. Soudain, la tentation l'emporte; alors, à demi-voix.)
Margot!
Margot (qui allait disparaître, se retourne.)
La nuit est venue complètement, mais à la faveur d'un rayon de lune qui filtre à travers les verdures du jardin, elle l'aperçoit, immobile, qui lui tend les bras en silence.
Margot (éperdue.)
Henri!
(C'est tout. Un saut et elle est à son cou. Ils se baisent aux lèvres, passionnément.)
(On entend, dans l'éloignement, des chants de canotiers attardés sur la Marne. Le rideau tombe.)
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