La Cruche
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Acte premier - Scène première

Georges Courteline

Acte premier - Scène première

Lauriane
Certes, je peux le dire à voix haute: je me soucie des palmes académiques comme de mon premier caleçon de bain. Il n'en est pas moins vrai que le doute où je vis de savoir si je les ai ou si je ne les ai pas me crée un odieux état d'âme. Tu es sûre qu'on ne trouve pas l'Officiel à Chennevières?

Margot
Sûre. Je te l'ai déjà dit cent fois.

Lauriane
A Champigny?

Margot
Pas davantage.

Lauriane
Et à La Varenne?

Margot
Pas plus.

Lauriane
Drôle d'idée que j'ai eue d'avoir choisi ce patelin pour y venir passer mes vacances!… Je la retiens, la banlieue! En tout cas, tu pourrais me laisser passer; tu vois bien que je vais tirer de l'eau.

Margot (qui se range.)
Oh! pardon.

Lauriane (le bras en mouvement sur le levier de la pompe.)
C'est comme Lavernié. Si jamais ma chienne fait des petits, tu parles, ma fille, non mais tu parles si je lui en mets un de côté.

Margot
Qu'est-ce qu'il t'a fait?

Lauriane
Il m'a fait que l'Officiel est mis en vente à six heures du matin, qu'il est près de cinq heures du soir, que ce grand imbécile me laisse sans nouvelles, et que quand on a dit aux gens: "Je t'enverrai une dépêche sitôt qu'il y aura du nouveau", on ne doit pas les laisser sur le gril comme de simples Saint-Laurent. C'est vrai, ça… Mais range-toi donc! C'est curieux, ce besoin d'être toujours dans mes jambes!…(Il passe devant Margot, les arrosoirs à la main, gagne la haie qui isole son petit jardin de l'allée banale de la ville. Là, brusquement:)
Tiens, Camille!…

Margot
Qui, Camille?

Lauriane
La femme de Marvejol.

Margot
Eh bien, ne te gêne plus. Tu pourrais dire: "Madame".

Lauriane
Tu n'as pas la prétention de me donner les leçons de savoir-vivre?

Margot
Je n'ai aucune prétention, tu le sais bien.

Lauriane (ironique.)
Tu as tort; tu devrais en avoir, à la beauté, et même à l'intelligence.

Margot
Pourquoi essaies-tu de m'humilier? Je ne t'ai rien dit de blessant, moi. Simplement, je te fais remarquer que tu pousses un peu loin la familiarité avec des gens que tu connais à peine et auxquels nous ne sommes liés que par des relations de voisinage.

Lauriane
C'est ton avis?

Margot
C'est mon avis.

Lauriane
Eh bien, tu me rases, voilà le mien.

Margot
N'en parlons plus.

Lauriane (les yeux sur Camille qui vient d'apparaître par la droite et dont on voit le haut du corps par-dessus la haie de séparation.)
Cette femme me ferait passer par un trou de souris. (Haut.)
Belle dame…


Acte premier - Scène première

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