Lauriane
Si tu veux du fromage?
Lavernié
Merci. (Long silence, puis, allumant une cigarette:)
Toi, tu ne seras content que le jour où Margot aura fait des blagues.
Lauriane
Margot? C'est une cruche, Margot!
Lavernié
Une cruche?
Lauriane
Oui.
Lavernié
Eh bien, méfie-toi de la mener à l'eau un peu plus souvent qu'il ne faudrait; tu pourrais te faire éclabousser. En vérité, c'est inimaginable. Voilà une enfant délicieuse, qui t'aime, te fait honneur, emplit cette maison de sa jeunesse qui l'embaume et de son rire qui l'égaye, et tu n'as d'autre ambition, tu n'entrevois d'autre dessein, tu ne poursuis d'autre but que le but idiot de la faire tourner en bourrique!… Gare!… Tu joues là un jeu dangereux. On a vu des femmes se venger quand on ne leur avait rien fait, et Margot aurait une excuse.
Lauriane
Tout de bon?
Lavernié
Tout de bon.
Lauriane
Sais-tu que tu la défends avec une certaine chaleur?
Lavernié
C'est tout naturel.
Lauriane
Comment donc!
Lavernié
Tu dis cela avec un drôle d'air… (Rires mystérieux de Lauriane.)
Oh! cartes sur tables, je t'en prie; notre amitié est trop ancienne pour se pouvoir accommoder d'équivoques et de faux-fuyants. Si tu as une pensée de derrière la tête, tu vas lui donner la volée ou je vais, moi, boucler ma valise, prendre mon chapeau et cavaler!
Lauriane
Tu t'emballes!…
Lavernié
J'en ai le droit. Comme tous les gens qui n'ont rien à cacher, je suis pour les maisons de verre. Parle.
Lauriane
Les amoureux sont inouïs! Ils crient leur secret sur les toits et ils s'étonnent que les couvreurs, qui ont des oreilles, les entendent!
Lavernié (très surpris.)
Je suis amoureux?
Lauriane
De Margot.
Lavernié
Moi?
Lauriane
Tu me prends pour un aveugle. Je ne m'aperçois pas de ton petit manège, peut-être? et je ne te vois pas depuis longtemps tourner autour de ses jupes!… Allons, sois franc! En as-tu envie?
Lavernié
Oui, parbleu! Et c'est le moindre hommage que je puisse rendre à la beauté de cette charmante fille. Mais de là à lui faire la cour quand tu n'y es pas et à tourner autour de ses jupes, il y a une nuance. N'insiste pas, tu me blesserais. Je n'ai pas coutume d'abuser de la confiance des personnes pour leur dérober leur argent, leur montre ou leur bonne amie.
Lauriane
Aucun rapport.
Lavernié
Je te demande pardon. La femme d'un ami est son bien au même titre que sa bourse.
Lauriane (spirituel.)
Ou que son parapluie.
Lavernié
Parfaitement. Et pour moi, si jamais je pinçais un copain, fût-ce le plus ancien et le meilleur, à me chahuter ma maîtresse, je lui casserais les reins, tu m'entends? et ceci, sans l'ombre d'un scrupule.
Lauriane
Moi pas.
Lavernié
Ouat!
Lauriane
Fais-en l'expérience.
Lavernié
Comment?
Lauriane
Margot te plaît, prends-la.
Lavernié (abasourdi.)
C'est pour rire, je pense.
Lauriane
Du tout. Mon cher, tu ne me connais pas.
Lavernié
Je te connais à peine, en effet. Cela ne remonte guère qu'à trente-cinq ans, au temps où nos pans de chemises
passaient par nos fonds de culotte. Tu as toujours été le même: épateur, bluffeur et faiseur d'embarras.
Lauriane
"Jeune homme, dit le proverbe, emporte-toi moins, tu ne t'en porteras que mieux. " Non, mais tu es extraordinaire avec tes allures de César. Suis-je obligé de partager tes petites manières de voir et dois-je être un reflet de ta vie? Je suis un indépendant, moi!
Lavernié
Ça y est! Voilà ce que je craignais.
Lauriane
Et tu le sais très bien, d'ailleurs. Seulement, tu ne veux pas en convenir, étant un être compliqué, subtil et paradoxal.
Lavernié
Paradoxal! Paradoxal!… Eh! je le hais, le paradoxe! J'en ai l'exécration, le dégoût et la crainte, comme d'une fille publique qu'il est!
Lauriane
Et avec qui l'on couche.
Lavernié
A l'occasion, pour rire, mais qu'on n'épouse pas, N… de D…!… Seigneur! qu'il est donc difficile d'arriver à se faire comprendre!
Lauriane
Tu as raison. Restons-en là. Je ne discute pas avec les enfants.
Lavernié
Pourquoi donc? Je discute bien avec des andouilles, moi qui te parle.
Lauriane
Trop aimable!
Lavernié
Mon cher Lauriane, j'ai horreur des phrases à effet et des daims qui battent la caisse sur la peau d'âne des mots creux. Voilà une heure que tu sues sang et eau à essayer de m'intéresser, tu ne m'intéresses pas, c'est bien simple. Tu veux me la faire, tu ne me la feras pas, c'est bien simple. Fais ton profit de ces paroles et rends grâce à mon affection, si elle a sa rude franchise, d'avoir aussi sa probité. Car c'est vrai, elle me plaît, Margot; et elle me plaît même beaucoup! et cela ne date pas d'aujourd'hui! et si on me la donnait, je sais bien ce que j'en ferais! et il est inouï de penser que nous ayons pu en venir, moi à te faire de pareils aveux, et toi, Lauriane, à les entendre!
Lauriane
Puis-je te demander poliment, avec tous les égards voulus, la permission de placer un mot? Tu me l'accordes? Oui? C'est heureux! Sache donc, ceci pour ta gouverne, que j'ai plein le dos de Margot; que ma liaison avec elle a plus que suffisamment duré, mes habitudes n'étant pas de m'éterniser dans le collage, et que, d'ailleurs, en fût-il autrement, jamais une femme, jamais -- tu m'entends, à ton tour? -- ne me brouillera avec un ami. (Lavernié hausse les épaules.)
Alors là, raisonnablement, tu penses que je pourrais hésiter une seconde entre un vieux camarade d'enfance, comme voilà toi, et Margot dont je connais le passé, après tout, et qui n'est jamais qu'une…
Lavernié
Tu vas dire une lâcheté.
Lauriane
Mais mon cher, j'ai ramassé ça…
Lavernié
Elle est dite. C'est la dernière. Tu finirais par me fâcher et je ne suis pas venu chez toi pour avoir le désagrément de te jeter au nez des choses désobligeantes. Je me résume. J'ai pour cette enfant autant de tendresse que d'estime et prétends qu'elle a plus à se plaindre de toi que tu n'as à te plaindre d'elle, un homme de ton âge, et du mien, demeurant toujours, quoi qu'il arrive, l'obligé du bras qui enlace, du regard qui sourit et de la bouche qui sent bon. Ceci soit dit pour elle. Quant à son honnêteté, je ne la discute même pas, et c'est un point de la question qui a sa petite importance, sans que tu aies l'air de t'en douter.
Lauriane
Son importance? Quelle importance? Je ne sais pas ce que tu veux me dire. Je te répète que chacun, en ce bas monde, pratique la vie à sa façon. Tu as tes idées, j'ai les miennes, et c'est mon droit, quand le diable y serait, de prendre la chose gaiement, si les autres jouent de la musique sur le même instrument que moi.
Lavernié
Tu me fais suer!
Lauriane
Triomphe à ton aise! (Il se lève.)
Je vais prendre le café chez le voisin. En ce qui concerne Margot, ne te gêne pas, si le coeur t'en dit. Dans le cas contraire, allonge-toi à côté, comme ils disent en Normandie. (Tirant sa montre.)
Neuf heures moins le quart. Ah! diable!… Tu viens?
Lavernié
Je ne sais pas… Tout à l'heure…
Lauriane
Comme tu voudras. Je suis là, moi. (Fausse sortie.)
Tu devrais mettre ton pardessus.
Lavernié
Je n'ai pas froid.
Lauriane
Mets-le tout de même; c'est prudent, par ces sales temps-là. C'est vrai, ça, on attrape la mort et puis, après, on est tout surpris d'être malade.
(Il sort. Lavernié le suit du regard. Petite pantomime trahissant son incertitude d'esprit.)
(Il prend une cigarette, l'allume, en tire une bouffée, puis la rejette. Claquement agacé de son pouce contre son index. Appel impatienté des lèvres. On le sent perplexe, hésitant, très troublé de ce qu'il vient d'entendre et ne sachant ce qu'il doit croire. Quelques instants s'écoulent.)
(Enfin Margot paraît.)
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