ACTE V - Scène IV


Irène
(se levant.)
Qu'ai-je dit ? Qu'ai-je fait ! Et qu'est-ce que j'espère ?
Je ne me connais plus… tandis qu'il me parlait,
Au seul son de sa voix tout mon coeur s'échappait :
Chaque mot, chaque instant portait dans ma blessure
Des poisons dévorants dont frémit la nature.
Elle marche égarée et hors d'elle-même.
Non, ne m'obéis point ; non, mon cher alexis ;
N'amène point mon père à mes yeux obscurcis :
Reviens… ah ! Je te vois ; ah ! Je t'entends encore :
J'idolâtre avec toi le crime que j'abhorre…
Ô crime ! éloigne-toi… ciel ! … quel objet affreux !
Quel spectre menaçant se jette entre nous deux !
Est-ce toi, Nicéphore ! Ombre terrible, arrête :
Ne verse que mon sang, ne frappe que ma tête ;
Moi seule j'ai tout fait : c'est mon coupable amour,
C'est moi qui t'ai trahi, qui t'ai ravi le jour.
Quoi ! Tu te joins à lui, toi, mon malheureux père !
Tu poursuis cette fille homicide, adultère !
Fuis, mon cher Alexis ; détourne avec horreur
Pour voler dans tes bras dont on vient m'arracher ?
Ah ! Je reviens à moi… religion sacrée,
Devoir, nature, honneur, à cette âme égarée
Vous rendez sa raison, vous calmez ses esprits…
Je ne vous entends plus, si je vois Alexis ! …
Ces yeux si dangereux, si puissants sur mon coeur !
Dégage de mes mains ta main de sang fumante ;
Mon père et mon époux poursuivent ton amante !
Sur leurs corps tout sanglants me faudra-t-il marcher
Pour voler dans tes bras dont on vient m'arracher ?
Ah ! Je reviens à moi… religion sacrée,
Devoir, nature, honneur, à cette âme égarée
Vous rendez sa raison, vous calmez ses esprits…
Je ne vous entends plus, si je vois Alexis ! …
Dieu, que je veux servir, et que pourtant j'outrage,
Pourquoi m'as-tu livrée à ce cruel orage ?
Contre un faible roseau pourquoi veux-tu t'armer ?
Qu'ai-je fait ? Tu le sais : tout mon crime est d'aimer !
Malgré mon repentir, malgré ta loi suprême,
Tu vois que mon amant l'emporte sur toi-même :
Il règne, il t'a vaincu dans mes sens obscurcis…
Eh bien ! Voilà mon coeur ; c'est là qu'est alexis :
Oui, tant que je respire il en est le seul maître.
Je sens qu'en l'adorant je vais te méconnaître…
Je trahis et l'hymen, et la nature, et toi…
Elle tire un poignard, et se frappe.
Je te venge de lui, je te venge de moi.
Alexis fut mon dieu, je te le sacrifie :
Je n'y puis renoncer qu'en m'arrachant la vie.
(Elle tombe dans un fauteuil.)

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