ACTE III - Scène IV



(Irène, léonce, zoé.)

Irène
Que dois-je faire ? Ô Dieu !

Léonce
Croire un père et le suivre.
Dans ce séjour de sang vous ne pouvez plus vivre
Sans vous rendre exécrable à la postérité.
Je sais que Nicéphore eut trop de dureté ;
Mais il fut votre époux : respectez sa mémoire…
Les devoirs d'une femme, et surtout votre gloire.
Je ne vous dirai point qu'il n'appartient qu'à vous
De venger par le sang le sang de votre époux ;
Ce n'est qu'un droit barbare, un pouvoir qui se fonde
Sur les faux préjugés du faux honneur du monde :
Mais c'est un crime affreux, qui ne peut s'expier,
D'être d'intelligence avec le meurtrier.
Contemplez votre état : d'un côté se présente
Un jeune audacieux de qui la main sanglante
Vient d'immoler son maître à son ambition ;
De l'autre est le devoir et la religion,
Le véritable honneur, la vertu, Dieu lui-même.
Je ne vous parle point d'un père qui vous aime ;
C'est vous que j'en veux croire ; écoutez votre coeur.

Irène
J'écoute vos conseils ; ils sont justes, seigneur ;
Ils sont sacrés : je sais qu'un respectable usage
Prescrit la solitude à mon fatal veuvage.
Dans votre asile saint je dois chercher la paix
Qu'en ce palais sanglant je ne connus jamais :
J'ai trop besoin de fuir et ce monde que j'aime,
Et son prestige horrible… et de me fuir moi-même.

Léonce
Venez donc, cher appui de ma caducité ;
Oubliez avec moi tout ce que j'ai quitté :
Croyez qu'il est encore, au sein de la retraite,
Des consolations pour une âme inquiète.
J'y trouvai cette paix que vous cherchiez en vain ;
Je vous y conduirai ; j'en connais le chemin :
Je vais tout préparer… jurez à votre père,
Par le dieu qui m'amène, et dont l'oeil vous éclaire,
Que vous accomplirez dans ces tristes remparts
Les devoirs imposés aux veuves des césars.

Irène
Ces devoirs, il est vrai, peuvent sembler austères :
Mais, s'ils sont rigoureux, ils me sont nécessaires.

Léonce
Qu'alexis pour jamais soit oublié de nous.

Irène
Quand je dois l'oublier, pourquoi m'en parlez-vous ?
Je sais que j'aurais dû vous demander pour grâce
Ces fers que vous m'offrez, et qu'il faut que j'embrasse.
Après l'orage affreux que je viens d'essuyer,
Dans le port avec vous il faut tout oublier.
J'ai haï ce palais, lorsqu'une cour flatteuse
M'offrait de vains plaisirs, et me croyait heureuse :
Quand il est teint de sang, je le dois détester.
Eh ! Quel regret, seigneur, aurais-je à le quitter ?
Dieu me l'a commandé par l'organe d'un père ;
Je lui vais obéir, je vais vous satisfaire ;
J'en fais entre vos mains un serment solennel…
Je descends de ce trône, et je marche à l'autel.

Léonce
Adieu : souvenez-vous de ce serment terrible.
(Il sort.)

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