ACTE II - Scène I



(Alexis, memnon.)

Mémnon
Oui, vous êtes mandé ; mais César délibère.
Dans son inquiétude il consulte, il diffère,
Avec ses vils flatteurs en secret enfermé.
Le retour d'un héros l'a sans doute alarmé ;
Mais nous avons le temps de nous parler encore.
Ce salon qui conduit à ceux de Nicéphore
Mène aussi chez Irène, et je commande ici.
Sur tous vos partisans n'ayez aucun souci ;
Je les ai préparés. Si cette cour inique
Osait lever sur vous le glaive despotique,
Comptez sur vos amis : vous verrez devant eux
Fuir ce pompeux ramas d'esclaves orgueilleux.
Au premier mouvement notre vaillante escorte
Du rempart des sept tours ira saisir la porte ;
Et les autres, armés sous un habit de paix,
Inconnus à César, emplissent ce palais.
Nicéphore vous craint depuis qu'il vous offense.
Dans ce château funeste il met sa confiance :
Là, dans un plein repos, d'un mot, ou d'un coup d'oeil,
Il condamne à l'exil, aux tourments, au cercueil.
Il ose me compter parmi les mercenaires,
De son caprice affreux ministres sanguinaires :
Il se trompe… seigneur, quel secret embarras,
Quand j'ai tout disposé, semble arrêter vos pas ?

Alexis
Le remords… il faut bien que mon coeur te l'avoue.
Quelques exploits heureux dont l'Europe me loue,
Ma naissance, mon rang, la faveur du sénat,
Tout me criait : venez, montrez-vous à l'état.
Cette voix m'excitait. Le dépit qui me presse,
Ma passion fatale, entraînaient ma jeunesse ;
Je venais opposer la gloire à la grandeur,
Partager les esprits et braver l'empereur…
J'arrive, et j'entrevois ma carrière nouvelle.
Me faut-il arborer l'étendard d'un rebelle ?
La honte est attachée à ce nom dangereux.
Me verrai-je emporté plus loin que je ne veux ?

Mémnon
La honte ! Elle est pour vous de servir sous un maître.

Alexis
J'ose être son rival : je crains le nom de traître.

Mémnon
Soyez son ennemi dans les champs de l'honneur,
Disputez-lui l'empire, et soyez son vainqueur.

Alexis
Crois-tu que le Bosphore, et la superbe Thrace,
Et ces grecs inconstants serviraient tant d'audace ?
Je sais que les états sont pleins de sénateurs
Attachés à ma race, et dont j'aurais les coeurs :
Ils pourraient soutenir ma sanglante querelle :
Mais le peuple ?

Mémnon
Il vous aime : au trône il vous appelle.
Sa fougue est passagère, elle éclate à grand bruit ;
Un instant la fait naître, un instant la détruit.
J'enflamme cette ardeur ; et j'ose encor vous dire
Que je vous répondrais des coeurs de tout l'empire.
Paraissez seulement, mon prince, et vous ferez
Du sénat et du peuple autant de conjurés.
Dans ce palais sanglant, séjour des homicides,
Les révolutions furent toujours rapides.
Vingt fois il a suffi, pour changer tout l'état,
De la voix d'un pontife, ou du cri d'un soldat.
Ces soudains changements sont des coups de tonnerre
Qui dans des jours sereins éclatent sur la terre.
Plus ils sont imprévus, moins on peut échapper
À ces traits dévorants dont on se sent frapper.
Nous avons vu frapper ces ombres fugitives,
Fantômes d'empereurs élevés sur nos rives,
Tombant du haut du trône en l'éternel oubli,
Où leur nom d'un moment se perd enseveli.
Il est temps qu'à Byzance on reconnaisse un homme
Digne des vrais césars, et des beaux jours de Rome.
Byzance offre à vos mains le souverain pouvoir.
Ceux que j'y vis régner n'ont eu qu'à le vouloir :
Portés dans l'hippodrome, ils n'avaient qu'à paraître
Décorés de la pourpre et du sceptre d'un maître ;
Au temple de Sophie un prêtre les sacrait,
Et Byzance à genoux soudain les adorait.
Ils avaient moins que vous d'amis et de courage ;
Ils avaient moins de droits : tentez le même ouvrage ;
Recueillez les débris de leurs sceptres brisés ;
Vous régnez aujourd'hui, seigneur, si vous l'osez.

Alexis
Ami, tu me connais : j'ose tout pour Irène :
Seule elle m'a banni, seule elle me ramène ;
Seule sur mon esprit encore irrésolu
Irène a conservé son pouvoir absolu.
Rien ne me retient plus : on la menace, et j'aime.

Mémnon
Je me trompe, seigneur, ou l'empereur lui-même
Vient vous dicter ses lois dans ce lieu retiré.
L'attendrez-vous encore ?

Alexis
Oui, je lui répondrai.

Mémnon
Déjà paraît sa garde : elle m'est confiée.
Si de votre ennemi la haine étudiée
A conçu contre vous quelques secrets desseins,
Nous servons sous Comnène, et nous sommes romains.
Je vous laisse avec lui.
(Il se retire dans le fond, et se met à la tête de la garde.)

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