ACTE V - Scène II
(Alexis, zoé.)
Alexis
Venez, venez, Zoé, vous que chérit Irène ;
Jugez si mon amour a mérité sa haine,
Si je voulais en maître, en vainqueur, en césar,
Montrer l'auguste Irène enchaînée à mon char.
Je n'ordonnerai point qu'une odieuse fête
Au temple du Bosphore avec éclat s'apprête ;
Je n'insulterai point à ces préventions
Que le temps enracine au coeur des nations :
Je prétends préparer cet hymen où j'aspire
Loin d'un peuple importun qu'un vain spectacle attire.
Vous connaissez l'autel qu'éleva dans ces lieux
Avec simplicité la main de nos aïeux :
N'admettant pour garants de la foi qu'on se donne
Que deux amis, un prêtre, et le ciel qui pardonne,
C'est là que devant Dieu je promettrai mon coeur.
Est-il indigne d'elle ? Inspire-t-il l'horreur ?
Dites-moi par pitié si son âme agitée
Aux offres que je fais recule épouvantée ;
Si mon profond respect ne peut que l'indigner ;
Enfin si je l'offense en la faisant régner.
Zoé
Ce matin, je l'avoue, en proie à ses alarmes,
Votre nom prononcé faisait couler ses larmes :
Mais depuis que Léonce ici vous a parlé,
L'oeil fixe, le front pâle, et l'esprit accablé,
Elle garde avec nous un farouche silence ;
Son coeur ne nous fait plus la triste confidence
De ce remords puissant qui combat ses désirs ;
Ses yeux n'ont plus de pleurs, et sa voix de soupirs.
De son dernier affront profondément frappée,
De Léonce et de vous tout entière occupée,
À nos empressements elle n'a répondu
Que d'un regard mourant, d'un visage éperdu ;
Ne pouvant repousser de sa sombre pensée
Le douloureux fardeau qui la tient oppressée.
Alexis
Hélas ! Elle vous aime, et sans doute me craint.
Si dans mon désespoir votre amitié me plaint,
Si vous pouvez beaucoup sur ce coeur noble et tendre,
Résolvez-la du moins à me voir, à m'entendre,
À ne point rejeter les voeux humiliés
D'un empereur soumis et tremblant à ses pieds.
Le vainqueur de César est l'esclave d'Irène ;
Elle étend à son choix, ou resserre sa chaîne :
Qu'elle dise un seul mot.
Zoé
Jusques en ce séjour
Je la vois avancer par ce secret détour.
Alexis
C'est elle-même, ô ciel !
Zoé
À la terre attachée,
Sa vue à notre aspect s'égare effarouchée ;
Elle avance vers vous, mais sans vous regarder ;
Je ne sais quelle horreur semble la posséder.
Alexis
Irène, est-ce bien vous ? Quoi ! Loin de me répondre,
À peine d'un regard elle veut me confondre !