ACTE IV - Scène I
(Irène,Zoé.)
Zoé
Quoi ! Vous n'avez osé, timide et confondue,
D'un père et d'un amant soutenir l'entrevue !
Ah ! Madame ! En secret auriez-vous pu sentir
De ce départ fatal un juste repentir ?
Irène
Moi !
Zoé
Souvent le danger dont on bravait l'image,
Au moment qu'il approche, étonne le courage :
La nature s'effraye, et nos secrets penchants
Se réveillent dans nous, plus forts et plus puissants.
Irène
Non, je n'ai point changé ; je suis toujours la même ;
Je m'abandonne entière à mon père qui m'aime.
Il est vrai, je n'ai pu, dans ce fatal moment,
Soutenir les regards d'un père et d'un amant ;
Je ne pouvais parler : tremblante, évanouie,
Le jour se refusait à ma vue obscurcie ;
Mon sang s'était glacé ; sans force et sans secours,
Je touchais à l'instant qui finissait mes jours.
Rendrai-je grâce aux mains dont je suis secourue ?
Soutiendrai-je la vie, hélas ! Qu'on m'a rendue ?
Si Léonce paraît, je sens couler mes pleurs ;
Si je vois alexis, je frémis et je meurs ;
Et je voudrais cacher à toute la nature
Mes sentiments, ma crainte, et les maux que j'endure.
Ah ! Que fait alexis ?
Zoé
Il veut en souverain
Vous replacer au trône, et vous donner sa main.
À Léonce, au pontife, il s'expliquait en maître ;
Dans ses emportements j'ai peine à le connaître :
Il ne souffrira point que vous osiez jamais
Disposer de vous-même, et sortir du palais.
Irène
Ciel, qui lis dans mon coeur, qui vois mon sacrifice,
Tu ne souffriras pas que je sois sa complice !
Zoé
Que vous êtes en proie à de tristes combats !
Irène
Tu les connais ; plains-moi, ne me condamne pas.
Tout ce que peut tenter une faible mortelle,
Pour se punir soi-même, et pour régner sur elle,
Je l'ai fait, tu le sais ; je porte encor mes pleurs
Au dieu dont la bonté change, dit-on, les coeurs.
Il n'a point exaucé mes plaintes assidues ;
Il repousse mes mains vers son trône étendues ;
(Il s'éloigne.)
Zoé
Et pourtant, libre dans vos ennuis,
Vous fuyez votre amant.
Irène
Peut-être je ne puis.
Zoé
Je vous vois résister au feu qui vous dévore.
Irène
En voulant l'étouffer, l'allumerais-je encore ?
Zoé
Alexis ne veut vivre et régner que pour vous.
Irène
Non, jamais Alexis ne sera mon époux.
Eh bien ! Si dans la Grèce un usage barbare,
Contraire à ceux de Rome, indignement sépare
Du reste des humains les veuves des césars,
Si ce dur préjugé règne dans nos remparts,
Cette loi rigoureuse, est-ce un ordre suprême
Que du haut de son trône ait prononcé Dieu même ?
Contre vous de sa foudre a-t-il voulu s'armer ?
Irène
Oui : tu vois quel mortel il me défend d'aimer.
Zoé
Ainsi, loin du palais où vous fûtes nourrie,
Vous allez, belle Irène, enterrer votre vie !
Irène
Je ne sais où je vais… humains ! Faibles humains !
Réglons-nous notre sort ? Est-il entre nos mains ?