ACTE TROISIÈME - Scène II



JOCASTE, PHILOCTÈTE, ÉGINE.

Jocaste
Ah ! Prince, vous voici !
Dans le mortel effroi dont mon âme est émue,
Je ne m'excuse point de chercher votre vue ;
Mon devoir, il est vrai, m'ordonne de vous fuir ;
Je dois vous oublier, et non pas vous trahir ;
Je crois que vous savez le sort qu'on vous apprête.

Philoctète
Un vain peuple en tumulte a demandé ma tête ;
Il souffre, il est injuste, il faut lui pardonner.

Jocaste
Gardez à ses fureurs de vous abandonner.
Partez ; de votre sort vous êtes encor maître ;
Mais ce moment, seigneur, est le dernier peut-être
Où je puis vous sauver d'un indigne trépas.
Fuyez ; et loin de moi précipitant vos pas,
Pour prix de votre vie heureusement sauvée,
Oubliez que c'est moi qui vous l'ai conservée.

Philoctète
Daignez montrer, madame, à mon cœur agité
Moins de compassion et plus de fermeté ;
Préférez, comme moi, mon honneur à ma vie ;
Commandez que je meure, et non pas que je fuie ;
Et ne me forcez point, quand je suis innocent,
À devenir coupable en vous obéissant.
Des biens que m'a ravis la colère céleste,
Ma gloire, mon honneur est le seul qui me reste ;
Ne m'ôtez pas ce bien dont je suis si jaloux,
Et ne m'ordonnez pas d'être indigne de vous.
J'ai vécu, j'ai rempli ma triste destinée,
Madame : à votre époux ma parole est donnée ;
Quelque indigne soupçon qu'il ait conçu de moi,
Je ne sais point encor comme on manque de foi.

Jocaste
Seigneur, au nom des dieux, au nom de cette flamme
Dont la triste Jocaste avait touché votre âme,
Si d'une si parfaite et si tendre amitié
Vous conservez encore un reste de pitié,
Enfin, s'il vous souvient que, promis l'un à l'autre,
Autrefois mon bonheur a dépendu du vôtre,
Daignez sauver des jours de gloire environnés,
Des jours à qui les miens ont été destinés.

Philoctète
Je vous les consacrai ; je veux que leur carrière
De vous, de vos vertus, soit digne tout entière.
J'ai vécu loin de vous ; mais mon sort est trop beau
Si j'emporte en mourant votre estime au tombeau.
Qui sait même, qui sait si d'un regard propice
Le ciel ne verra point ce sanglant sacrifice ?
Qui sait si sa clémence, au sein de vos états,
Pour m'immoler à vous n'a point conduit mes pas ?
Peut-être il me devait cette grâce infinie
De conserver vos jours aux dépens de ma vie ;
Peut-être d'un sang pur il peut se contenter,
Et le mien vaut du moins qu'il daigne l'accepter.

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