ACTE TROISIÈME - Scène IV



Oedipe, JOCASTE, LE GRAND-PRÊTRE, ARASPE, PHILOCTÈTE, ÉGINE, suite, le chœur.

Oedipe
Eh bien ! Les dieux, touchés des vœux qu'on leur adresse,
Suspendent-ils enfin leur fureur vengeresse ?
Quelle main parricide a pu les offenser ?

Philoctète
Parlez, quel est le sang que nous devons verser ?

Le Grand-Prêtre
Fatal présent du ciel ! Science malheureuse !
Qu'aux mortels curieux vous êtes dangereuse !
Plût aux cruels destins qui pour moi sont ouverts,
Que d'un voile éternel mes yeux fussent couverts !

Philoctète
Eh bien ! Que venez-vous annoncer de sinistre ?

Oedipe
D'une haine éternelle êtes-vous le ministre ?

Philoctète
Ne craignez rien.

Oedipe
Les dieux veulent-ils mon trépas ?

Le Grand-Prêtre (à Oedipe)
Ah ! Si vous m'en croyez, ne m'interrogez pas.

Oedipe
Quel que soit le destin que le ciel nous annonce,
Le salut des thébains dépend de sa réponse.

Philoctète
Parlez.

Oedipe
Ayez pitié de tant de malheureux ;
Songez qu'Oedipe…

Le Grand-Prêtre
Oedipe est plus à plaindre qu'eux.

Premier personnage du chœur
Oedipe a pour son peuple une amour paternelle ;
Nous joignons à sa voix notre plainte éternelle.
Vous à qui le ciel parle, entendez nos clameurs.

Second personnage du chœur
Nous mourons, sauvez-nous, détournez ses fureurs ;
Nommez cet assassin, ce monstre, ce perfide.

Premier personnage du chœur
Nos bras vont dans son sang laver son parricide.

Le Grand-Prêtre
Peuples infortunés, que me demandez-vous ?

Premier personnage du chœur
Dites un mot, il meurt, et vous nous sauvez tous.

Le Grand-Prêtre
Quand vous serez instruits du destin qui l'accable,
Vous frémirez d'horreur au seul nom du coupable.
Le dieu qui par ma voix vous parle en ce moment
Commande que l'exil soit son seul châtiment ;
Mais bientôt éprouvant un désespoir funeste,
Ses mains ajouteront à la rigueur céleste.
De son supplice affreux vos yeux seront surpris,
Et vous croirez vos jours trop payés à ce prix.

Oedipe
Obéissez.

Philoctète
Parlez.

Oedipe
C'est trop de résistance.

Le Grand-Prêtre (à Oedipe)
C'est vous qui me forcez à rompre le silence.

Oedipe
Que ces retardements allument mon courroux !

Le Grand-Prêtre
Vous le voulez… eh bien !… c'est…

Oedipe
Achève : qui ?

Le Grand-Prêtre
Vous.

Oedipe
Moi ?

Le Grand-Prêtre
Vous, malheureux prince !

Second personnage du chœur
Ah ! Que viens-je d'entendre !

Jocaste
Interprète des dieux, qu'osez-vous nous apprendre ?
(À Oedipe.)
Qui, vous ! De mon époux vous seriez l'assassin ?
Vous à qui j'ai donné ma couronne et ma main ?
Non, seigneur, non : des dieux l'oracle nous abuse ;
Votre vertu dément la voix qui vous accuse.

Premier personnage du chœur
Ô ciel, dont le pouvoir préside à notre sort,
Nommez une autre tête, ou rendez-nous la mort.

Philoctète
N'attendez point, seigneur, outrage pour outrage ;
Je ne tirerai point un indigne avantage
Du revers inouï qui vous presse à mes yeux ;
Je vous crois innocent malgré la voix des dieux.
Je vous rends la justice enfin qui vous est due,
Et que ce peuple et vous ne m'avez point rendue.
Contre vos ennemis je vous offre mon bras ;
Entre un pontife et vous je ne balance pas.
Un prêtre, quel qu'il soit, quelque dieu qui l'inspire,
Doit prier pour ses rois, et non pas les maudire.

Oedipe
Quel excès de vertu ! Mais quel comble d'horreur !
L'un parle en demi-dieu, l'autre en prêtre imposteur.
(Au grand-prêtre.)
Voilà donc des autels quel est le privilége !
Grâce à l'impunité, ta bouche sacrilége,
Pour accuser ton roi d'un forfait odieux,
Abuse insolemment du commerce des dieux !
Tu crois que mon courroux doit respecter encore
Le ministère saint que ta main déshonore.
Traître, au pied des autels il faudrait t'immoler,
À l'aspect de tes dieux que ta voix fait parler.

Le Grand-Prêtre
Ma vie est en vos mains, vous en êtes le maître ;
Profitez des moments que vous avez à l'être ;
Aujourd'hui votre arrêt vous sera prononcé.
Tremblez, malheureux roi, votre règne est passé ;
Une invisible main suspend sur votre tête
Le glaive menaçant que la vengeance apprête ;
Bientôt, de vos forfaits vous-même épouvanté,
Fuyant loin de ce trône où vous êtes monté,
Privé des feux sacrés et des eaux salutaires,
Remplissant de vos cris les antres solitaires,
Partout d'un dieu vengeur vous sentirez les coups ;
Vous chercherez la mort : la mort fuira de vous.
Le ciel, ce ciel témoin de tant d'objets funèbres,
N'aura plus pour vos yeux que d'horribles ténèbres ;
Au crime, au châtiment, malgré vous destiné,
Vous seriez trop heureux de n'être jamais né.

Oedipe
J'ai forcé jusqu'ici ma colère à t'entendre ;
Si ton sang méritait qu'on daignât le répandre,
De ton juste trépas mes regards satisfaits
De ta prédiction préviendraient les effets.
Va, fuis, n'excite plus le transport qui m'agite,
Et respecte un courroux que ta présence irrite ;
Fuis, d'un mensonge indigne abominable auteur.

Le Grand-Prêtre
Vous me traitez toujours de traître et d'imposteur ;
Votre père autrefois me croyait plus sincère.

Oedipe
Arrête : que dis-tu ? Qui ? Polybe mon père…

Le Grand-Prêtre
Vous apprendrez trop tôt votre funeste sort ;
Ce jour va vous donner la naissance et la mort.
Vos destins sont comblés, vous allez vous connaître.
Malheureux ! Savez-vous quel sang vous donna l'être ?
Entouré de forfaits à vous seul réservés,
Savez-vous seulement avec qui vous vivez ?
Ô Corinthe ! ô Phocide ! Exécrable hyménée !
Je vois naître une race impie, infortunée,
Digne de sa naissance, et de qui la fureur
Remplira l'univers d'épouvante et d'horreur.
Sortons.

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