ACTE CINQUIÈME - Scène III
Oedipe, ICARE, PHORBAS.
Oedipe
Ah ! Phorbas, approchez !
Icare
Ma surprise est extrême ;
Plus je le vois, et plus… ah ! Seigneur, c'est lui-même ;
C'est lui.
Phorbas (à Icare)
Pardonnez-moi si vos traits inconnus…
Icare
Quoi ! Du mont Cithéron ne vous souvient-il plus ?
Phorbas
Comment ?
Icare
Quoi ! Cet enfant qu'en mes mains vous remîtes ;
Cet enfant qu'au trépas…
Phorbas
Ah ! Qu'est-ce que vous dites ?
Et de quel souvenir venez-vous m'accabler ?
Icare
Allez, ne craignez rien, cessez de vous troubler ;
Vous n'avez en ces lieux que des sujets de joie.
Oedipe est cet enfant.
Phorbas
Que le ciel te foudroie !
Malheureux ! Qu'as-tu dit ?
Icare (à Oedipe)
Seigneur, n'en doutez pas ;
Quoi que ce Thébain dise, il vous mit dans mes bras ;
Vos destins sont connus, et voilà votre père…
Oedipe
Ô sort qui me confond ! ô comble de misère !
(À Phorbas.)
Je serais né de vous ? Le ciel aurait permis
Que votre sang versé…
Phorbas
Vous n'êtes point mon fils.
Oedipe
Eh quoi ! N'avez-vous point exposé mon enfance ?
Phorbas
Seigneur, permettez-moi de fuir votre présence,
Et de vous épargner cet horrible entretien.
Oedipe
Phorbas, au nom des dieux, ne me déguise rien.
Phorbas
Partez, seigneur, fuyez vos enfants et la reine.
Oedipe
Réponds-moi seulement ; la résistance est vaine.
Cet enfant, par toi-même à la mort destiné,
(en montrant Icare.)
Le mis-tu dans ses bras ?
Phorbas
Oui, je le lui donnai.
Que ce jour ne fût-il le dernier de ma vie !
Oedipe
Quel était son pays ?
Phorbas
Thèbe était sa patrie.
Oedipe
Tu n'étais point son père ?
Phorbas
Hélas ! Il était né
D'un sang plus glorieux et plus infortuné.
Oedipe
Quel était-il enfin ?
Phorbas (se jette aux genoux du roi)
Seigneur, qu'allez-vous faire ?
Oedipe
Achève, je le veux.
Phorbas
Jocaste était sa mère.
Icare
Et voilà donc le fruit de mes généreux soins ?
Phorbas
Qu'avons-nous fait tous deux ?
Oedipe
Je n'attendais pas moins.
Icare
Seigneur…
Oedipe
Sortez, cruels, sortez de ma présence ;
De vos affreux bienfaits craignez la récompense ;
Fuyez ; à tant d'horreurs par vous seuls réservé,
Je vous punirais trop de m'avoir conservé.