ACTE CINQUIÈME - Scène VI
JOCASTE, ÉGINE, LE GRAND-PRÊTRE. le chœur.
Le Grand-Prêtre
Peuples, un calme heureux écarte les tempêtes ;
Un soleil plus serein se lève sur vos têtes ;
Les feux contagieux ne sont plus allumés ;
Vos tombeaux qui s'ouvraient sont déjà refermés ;
La mort fuit, et le dieu du ciel et de la terre
Annonce ses bontés par la voix du tonnerre.
(ici on entend gronder la foudre, et l'on voit briller les éclairs.)
Jocaste
Quels éclats ! Ciel ! Où suis-je ? Et qu'est-ce que j'entends ?
Barbares !…
Le Grand-Prêtre
C'en est fait, et les dieux sont contents.
Laïus du sein des morts cesse de vous poursuivre ;
Il vous permet encor de régner et de vivre ;
Le sang d'Oedipe enfin suffit à son courroux.
Le chœur
Dieux !
Jocaste
Ô mon fils ! Hélas ! Dirai-je mon époux ?
Ô des noms les plus chers assemblage effroyable !
Il est donc mort ?
Le Grand-Prêtre
Il vit, et le sort qui l'accable
Des morts et des vivants semble le séparer ;
Il s'est privé du jour avant que d'expirer.
Je l'ai vu dans ses yeux enfoncer cette épée
Qui du sang de son père avait été trempée ;
Il a rempli son sort ; et ce moment fatal
Du salut des thébains est le premier signal.
Tel est l'ordre du ciel, dont la fureur se lasse ;
Comme il veut, aux mortels il fait justice ou grâce ;
Ses traits sont épuisés sur ce malheureux fils.
Vivez, il vous pardonne.
Jocaste (se frappant)
Et moi, je me punis.
Par un pouvoir affreux réservée à l'inceste,
La mort est le seul bien, le seul dieu qui me reste.
Laïus, reçois mon sang, je te suis chez les morts ;
J'ai vécu vertueuse, et je meurs sans remords.
Le chœur
Ô malheureuse reine ! ô destin que j'abhorre !
Jocaste
Ne plaignez que mon fils, puisqu'il respire encore.
Prêtres, et vous thébains, qui fûtes mes sujets,
Honorez mon bûcher, et songez à jamais
Qu'au milieu des horreurs du destin qui m'opprime,
J'ai fait rougir les dieux qui m'ont forcée au crime.
(FIN D'Oedipe.)