ACTE QUATRIÈME - Scène III
Oedipe, JOCASTE.
Oedipe
Jocaste… car enfin la fortune jalouse
M'interdit à jamais le tendre nom d'épouse ;
Vous voyez mes forfaits : libre de votre foi,
Frappez, délivrez-vous de l'horreur d'être à moi.
Jocaste
Hélas !
Oedipe
Prenez ce fer, instrument de ma rage ;
Qu'il vous serve aujourd'hui pour un plus juste usage ;
Plongez-le dans mon sein.
Jocaste
Que faites-vous, seigneur ?
Arrêtez ; modérez cette aveugle douleur ;
Vivez.
Oedipe
Quelle pitié pour moi vous intéresse ?
Je dois mourir.
Jocaste
Vivez, c'est moi qui vous en presse ;
Écoutez ma prière.
Oedipe
Ah ! Je n'écoute rien ;
J'ai tué votre époux.
Jocaste
Mais vous êtes le mien.
Oedipe
Je le suis par le crime.
Jocaste
Il est involontaire.
Oedipe
N'importe, il est commis.
Jocaste
Ô comble de misère !
Oedipe
Ô trop funeste hymen ! ô feux jadis si doux !
Jocaste
Ils ne sont point éteints ; vous êtes mon époux.
Oedipe
Non, je ne le suis plus ; et ma main ennemie
N'a que trop bien rompu le saint nœud qui nous lie.
Je remplis ces climats du malheur qui me suit.
Redoutez-moi, craignez le dieu qui me poursuit ;
Ma timide vertu ne sert qu'à me confondre,
Et de moi désormais je ne puis plus répondre.
Peut-être de ce dieu partageant le courroux,
L'horreur de mon destin s'étendrait jusqu'à vous ;
Ayez du moins pitié de tant d'autres victimes ;
Frappez, ne craignez rien, vous m'épargnez des crimes.
Jocaste
Ne vous accusez point d'un destin si cruel ;
Vous êtes malheureux, et non pas criminel ;
Dans ce fatal combat que Daulis vous vit rendre,
Vous ignoriez quel sang vos mains allaient répandre ;
Et, sans trop rappeler cet affreux souvenir,
Je ne puis que me plaindre, et non pas vous punir.
Vivez…
Oedipe
Moi, que je vive ! Il faut que je vous fuie.
Hélas ! Où traînerai-je une mourante vie ?
Sur quels bords malheureux, en quels tristes climats,
Ensevelir l'horreur qui s'attache à mes pas ?
Irai-je, errant encore, et me fuyant moi-même,
Mériter par le meurtre un nouveau diadème ?
Irai-je dans Corinthe, où mon triste destin
À des crimes plus grands réserve encor ma main ?
Corinthe ! Que jamais ta détestable rive…