ACTE QUATRIÈME - Scène II
Oedipe, JOCASTE, PHORBAS, suite.
Oedipe
Viens, malheureux vieillard, viens, approche… à sa vue
D'un trouble renaissant je sens mon âme émue ;
Un confus souvenir vient encor m'affliger ;
Je tremble de le voir et de l'interroger.
Phorbas
Eh bien ! Est-ce aujourd'hui qu'il faut que je périsse ?
Grande reine, avez-vous ordonné mon supplice ?
Vous ne fûtes jamais injuste que pour moi.
Jocaste
Rassurez-vous, Phorbas, et répondez au roi.
Phorbas
Au roi !
Jocaste
C'est devant lui que je vous fais paraître.
Phorbas
Ô dieux ! Laïus est mort, et vous êtes mon maître !
Vous, seigneur ?
Oedipe
Épargnons les discours superflus ;
Tu fus le seul témoin du meurtre de Laïus ;
Tu fus blessé, dit-on, en voulant le défendre.
Phorbas
Seigneur, Laïus est mort, laissez en paix sa cendre ;
N'insultez pas du moins au malheureux destin
D'un fidèle sujet blessé de votre main.
Oedipe
Je t'ai blessé ? Qui, moi ?
Phorbas
Contentez votre envie ;
Achevez de m'ôter une importune vie ;
Seigneur, que votre bras, que les dieux ont trompé,
Verse un reste de sang qui vous est échappé ;
Et puisqu'il vous souvient de ce sentier funeste
Où mon roi…
Oedipe
Malheureux ! épargne-moi le reste ;
J'ai tout fait, je le vois, c'en est assez. ô dieux !
Enfin après quatre ans vous dessillez mes yeux.
Jocaste
Hélas ! Il est donc vrai !
Oedipe
Quoi ! C'est toi que ma rage
Attaqua vers Daulis en cet étroit passage !
Oui, c'est toi : vainement je cherche à m'abuser ;
Tout parle contre moi, tout sert à m'accuser ;
Et mon œil étonné ne peut te méconnaître.
Phorbas
Il est vrai, sous vos coups j'ai vu tomber mon maître ;
Vous avez fait le crime, et j'en fus soupçonné ;
J'ai vécu dans les fers, et vous avez régné.
Oedipe
Va, bientôt à mon tour je me rendrai justice ;
Va, laisse-moi du moins le soin de mon supplice ;
Laisse-moi, sauve-moi de l'affront douloureux
De voir un innocent que j'ai fait malheureux.