La Nature et l’Homme


Nature, je reviens à vous sur toutes choses,
Je vous revois, je vous reprends, je me repose
Comme un promeneur las qui trouve sa maison,
— Je ne veux plus aimer que vos quatre saisons
Qui sont toute la joie et toute l’innocence ;
Nature, rendez-nous les matins de l’enfance ;
La vie était heureuse et pleine de vigueur,
L’air abondant et vif se donnait comme un cœur ;
La route était si grande et pourtant familière.
Au travers des fourrés et des fossés, le lierre

Se traînait pour venir ramper sur le chemin ;
L’herbe fleurie était à la hauteur des mains,
On était près du champ, du sable, des insectes ;
Le buisson de lilas que la rosée humecte
Laissait pleuvoir sur nous ses bourgeons et son eau,
On était un feuillage où chantaient des oiseaux ;
— À force de toucher et d’aimer la verdure
On connaissait très bien toutes les découpures
Des plantes qui luisaient au gazon du jardin.
On était attendri de voir que, sans dédain,
Les arbres supportaient autour des branches torses
Les petites fourmis qui couraient sur l’écorce.
Le bois jetait au loin ses parfums et son bruit ;
Comme les pépins sont enveloppés du fruit
Nos cœurs étaient vêtus de ta chair odorante,
Tu ne faisais pas peur, Nature aux mains offrantes,
Notre candeur plaisait à ta simplicité ;
Tu nous laissais jouer sans crainte avec l’été
Et mordre tes bourgeons, ton herbe, ton feuillage
Comme font les chevreaux qu’on mène au pâturage.

Parfois dans la douceur auguste de ta paix
Une branche de ronce ou de mûrier rompait
Quand nous avions beaucoup parcouru les ravines :
On ne se faisait pas de mal à tes épines,
On pressait contre soi la haie et le buisson
Pour détacher la feuille où le colimaçon
Avait posé sa ronde et luisante coquille.
On cueillait tes pavots, tes bleuets, tes jonquilles,
On croyait que ton ciel et que ton mois de mai
Avait un cœur soigneux et chaud qui nous aimait,
Et que ton âme simple et bonne était encline
À fleurir et verdir les petites collines ;
On vivait confiant et serré contre toi
Comme les nids qui sont au soleil sous les toits…

— Et puis, un jour, j’ai vu comment allait le monde,
J’ai vu que votre tâche était d’être féconde,
Que vous étiez sans cœur, sans amour, sans pitié ;
J’ai voulu détourner de vous mon amitié

Pour venir contempler la conscience humaine.
Je pensais qu’elle était un lumineux domaine
Où fleurissaient la loi clémente et l’équité.
— J’ai connu que le mal emplissait les cités.
Que l’homme était sévère et dur aux misérables,
Que vos bois de sapins et vos bouquets d’érables,
Vos tiges de froment, d’orge et de sarrasin,
La feuille du figuier vivace et du raisin
Faisaient plus d’ombre à l’âme orgueilleuse et blessée
Que le plaisir, que le travail, que la pensée.
— Et je reviens à vous, apaisante splendeur,
Bénissant votre voix et votre bonne odeur.
saluant vos coteaux, vos plaines nourricières.
Les mousses des sentiers et la douce poussière
Que votre haleine fait voleter sous le ciel.
Voyez de quel désir, de quel amour charnel,
De quel besoin jaloux et vif, de quelle force,
Je respire le goût des champs et des écorces !
— Je vivrai désormais près de vous, contre vous,
Laissant l’herbe couvrir mes mains et mes genoux

Et me vêtir ainsi qu’une fontaine en marbre ;
Mon âme s’emplira de guêpes comme un arbre,
D’échos comme une grotte et d’azur comme l’eau ;
Je sentirai sur moi l’ombre de vos bouleaux ;
Et quand le jour viendra d’aller dans votre terre
Se mêler au fécond et végétal mystère,
Faites que mon cœur soit une baie d’alisier,
Un grain de genièvre, une rose au rosier,
Une grappe à la vigne, une épine à la ronce,
Une corolle ouverte où l’abeille s’enfonce…


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