Scène XX



(Les précédents.)

MADAME ALAIN
Son neveu ! Votre tante !

LE NEVEU
Oui, Madame.

LA VALLÉE
J'étais devin.

MADAME ALAIN
Ne rougissez-vous pas de votre fourberie ?

LE NEVEU
Écoutez-moi et ne vous fâchez pas. Votre franchise naturelle et louable, aidée d'un peu d'industrie de ma part, a causé cet événement. Avec une femme moins vraie, je ne tenais rien.

MADAME ALAIN
Cette bonne qualité a toujours été mon défaut et je ne m'en corrige point. Je suis outrée.

LE NEVEU
Vous n'avez rien à vous reprocher.

LA VALLÉE
Que d'avoir eu de la langue.

MADAME ALAIN
N'ai-je pas été surprise ?

LE NEVEU
N'ayez point de regret à cette aventure. Profitez au contraire de l'occasion qu'elle vous offre de rendre service à d'honnêtes gens et ne vous prêtez plus à un mariage aussi ridicule et aussi disproportionné que l'est celui-ci.

LA VALLÉE
Qu'y a-t-il donc tant à dire aux proportions ? Ne sommes-nous pas garçon et fille ?

LE NEVEU
Taisez-vous, Jacob.

MADAME ALAIN
Comment, Jacob ! On l'appelle Monsieur de la Vallée.

LE NEVEU
C'est sans doute un nom de guerre que ma tante lui a donné.

LA VALLÉE
Donné ! Qu'il soit de guerre ou de paix, le beau présent !

LE NEVEU
Son véritable est Jacques Giroux, petit berger, venu depuis sept ou huit mois de je ne sais quel village de Bourgogne, et c'est de lui-même que mes tantes le savent.

LA VALLÉE
Berger, parce qu'on a des moutons.

LE NEVEU
Petit paysan, autrement dit ; c'est même chose.

LA VALLÉE
On dit paysan, nom qu'on donne à tous les gens des champs.

MADAME ALAIN
Petit paysan, petit berger, Jacob, qu'est-ce donc que tout cela, Monsieur de la Vallée ? Car, enfin, les parents auraient raison.

LA VALLÉE
Je vous réponds qu'on arrange cette famille-là bien malhonnêtement, Madame Alain, et que sans la crainte du bruit et le respect de votre maison et du cabinet où il y a du monde…

LE NEVEU
Hem ! Que diriez-vous, mon petit ami ? Pouvez-vous nier que vous êtes arrivé à Paris avec un voiturier, frère de votre mère ?

LA VALLÉE
Quand vous crieriez jusqu'à demain, je ne ferai point d'esclandre.

LE NEVEU
De son propre aveu, c'était un vigneron que son père.

LA VALLÉE
Je me tais. Le silence ne m'incommode pas, moi.

LE NEVEU
Il ne saurait nier que ces demoiselles avaient besoin d'un copiste pour mettre au net nombre de papiers et que ce fut un de ses parents, qui est un scribe, qui le présenta à elles.

MADAME ALAIN
Quoi ! un de ces grimauds en boutique, qui dressent des écriteaux et des placets !

LE NEVEU
C'est ce qu'il y a de plus distingué parmi eux, et le petit garçon sait un peu écrire, de sorte qu'il fut trois semaines à leurs gages, mangeant avec une gouvernante qui est au logis.

MADAME ALAIN
Oh ! diantre ; il mange à table à cette heure.

LA VALLÉE
Quelles balivernes vous écoutez là !

LE NEVEU
Hem ! Vous raisonnez, je pense.

LA VALLÉE
Je ne souffle pas. Chantez mes louanges à votre aise.

MADAME ALAIN
Il m'a pourtant fait l'amour, le petit effronté !

LE NEVEU
Il est bien vêtu. C'est sans doute ma tante qui lui a fait faire cet habit-là, car il était en fort mauvais équipage au logis.

LA VALLÉE
C'est que j'avais mon habit de voyage.

LE NEVEU
Jugez, Madame, vous qui êtes une femme respectable, et qui savez ce que c'est que des gens de famille…

MADAME ALAIN
Oui, Monsieur. Je suis la veuve d'un honnête homme extrêmement considéré pour son habileté dans les affaires, et qui a été plus de vingt ans secrétaire de président. Ainsi, je dois être aussi délicate qu'une autre sur ces matières.

LA VALLÉE
Ah ! que tout cela m'ennuie.

LE NEVEU
Mademoiselle Habert a eu tort de fuir ; elle n'avait à craindre que des représentations soumises. Je ne désapprouve pas qu'elle se marie ; toute la grâce que je lui demande, c'est de se choisir un mari que nous puissions avouer, qui ne fasse pas rougir un neveu plein de tendresse et de respect pour elle, et qui n'afflige pas une sœur à qui elle est si chère, à qui sa séparation a coûté tant de larmes.

LA VALLÉE
Oh ! le madré crocodile.

MADAME ALAIN
Je ne m'en cache pas, vous me touchez. Les gens comme nous doivent se soutenir ; j'entre dans vos raisons.

LA VALLÉE
Que j'en rirais, si j'étais de bonne humeur !

MADAME ALAIN
Je vais parler à Mademoiselle Habert en attendant que vous ameniez sa sœur. Rien ne se terminera aujourd'hui. Laissez-moi agir.

LE NEVEU
Vous êtes notre ressource et nous nous reposons sur vos soins, Madame.

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