Scène XVIII



(LE NEVEU DE MADEMOISELLE HABERT, LA VALLÉE, MADAME ALAIN)

MADAME ALAIN
Monsieur de la Vallée, vous ne serez point de trop. Monsieur, vous pouvez dire devant lui ce qu'il vous plaira.

LE NEVEU
Excusez la liberté que je prends. On dit que vous avez chez vous une demoiselle qui va se marier incognito.

LA VALLÉE
Il n'y a point de cet incognito ici. Il faut que ce soit à une autre porte. Défiez-vous de ce gaillard-là, cousine.

MADAME ALAIN
Il n'y a point de mystère ; c'est Monsieur Remy qui l'a amené. Oui, il y a une demoiselle qui se marie, et qui n'est peut-être que la vingtième du quartier qui en fait autant. J'en sais cinq ou six pour ma part. Reste à savoir si Monsieur connaît la nôtre.

LE NEVEU
Si c'est celle que je cherche, je suis de ses amis et j'ai quelque chose à lui remettre.

LA VALLÉE
La nôtre n'attend rien. Ne donnez pas dans le panneau.

MADAME ALAIN
Paix ! Où sont ces choses singulières que vous devez m'apprendre, qui, apparemment, ne lui sont pas favorables ? et je conclus que vous n'êtes pas son ami autant que vous le dites.

LA VALLÉE
Et que vous ne marchez pas droit en besogne.

LE NEVEU
Jouons d'adresse. Vous m'excuserez, Madame. Il est très vrai que j'ai à lui parler et que je suis son ami. Et c'est cette amitié qui veut la détourner d'un mariage qui déplaît à sa famille et qui n'est pas supportable.

LA VALLÉE
Il va encore de travers.

MADAME ALAIN
Venons d'abord aux choses singulières ; c'est le principal.

LE NEVEU
Mettez-vous à ma place. Ne dois-je point savoir avant de vous les confier si la personne qui loge chez vous est celle que je cherche ? Donnez-moi du moins quelque idée de la vôtre.

LA VALLÉE
C'est une fille qui se marie ; voilà tout.

MADAME ALAIN
Il y a un bon moyen de s'en éclaircir, et bien court. Ne cherchez-vous pas une jeune fille ? Vous m'en avez tout l'air. Répondez.

LE NEVEU
Jeune… oui, Mademoiselle. Est-ce que la vôtre ne l'est pas ?

MADAME ALAIN
Ah ! vraiment non. C'est une fille âgée. Voilà une grande différence et tout le reste va de même. Nous n'avons pas ce qu'il vous faut. Je gage aussi que votre demoiselle a père et mère.

LE NEVEU
J'en demeure d'accord.

MADAME ALAIN
Vous voyez bien que rien ne se rapporte.

LE NEVEU
La vôtre n'a donc plus ses parents ?

MADAME ALAIN
Elle n'a qu'une sœur avec qui elle a passé sa vie.

LA VALLÉE
Le cœur me dit que vous me coupez la gorge.

MADAME ALAIN
Votre cœur rêve.

LE NEVEU
Nous n'y sommes plus. La mienne est blonde et n'a qu'une tante.

MADAME ALAIN
Hé bien ! la nôtre est brune et n'a qu'un neveu.

LA VALLÉE
Ni la sœur ni le neveu n'avaient que faire là. Je ne les aurais pas déclaré.

MADAME ALAIN
Avec qui la vôtre se marie-t-elle ?

LE NEVEU
Avec un veuf de trente ans, homme assez riche, mais qui ne convient point à la famille.

MADAME ALAIN
Et voilà le futur de la nôtre.

LA VALLÉE
Le portier dira le reste.

LE NEVEU
En voilà assez, Madame. Je me rends. Ce n'est point ici qu'on trouvera Mademoiselle Dumont.

MADAME ALAIN
Non. Il faut que vous vous contentiez de Mademoiselle Habert, qui a peur de son côté et que je vais rassurer, en l'avertissant qu'elle n'a rien à craindre.

LA VALLÉE
C'est pour nous achever. Tout est décousu.

MADAME ALAIN
Paraissez, notre amie ! Venez rire de la frayeur de Monsieur de la Vallée.

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