ACTE TROISIÈME - Scène VI



(Les précédents ; PISTOL.)

PISTOL
Oh ! oui, le vieux Bob, il est dans son lit.

KETTY
Dans son lit !

KEAN
Comment cela ?

PISTOL
En voilà un guignon… imaginez-vous, monsieur Kean… là, qu'il était descendu dans la rue… il était superbe, quoi, il avait son chapeau gris, son carrick pistache et son grand col de chemise qui lui guillotine les oreilles, vous savez… nous nous mettons en route, il fait quatre pas… Oh ! dit-il, j'ai oublié ma trompette… Bah ! qu'est-ce que vous voulez faire de votre trompette ? que je lui réponds. Je veux leur en jouer un petit air au dessert, ça les distraira… Est-ce qu'ils ne connaissent pas tous vos airs ? gardez votre respiration pour une autre circonstance, allez… Veux-tu courir me chercher mon instrument, et sans raisonner, drôle !… Ah ! tiens, je ne sais pas où elle est, votre instrument, allez la chercher vous-même… Vous savez, il est vif le père Bob… je n'avais pas fini qu'il m'allonge un coup de pied… heureusement que je connais ses tics, et que je ne le perds jamais de vue quand nous causons ensemble.

KEAN
Eh bien ! tu l'as reçu… voilà tout.

PISTOL
Et non, voilà le malheur, j'ai fait un saut de côté.

KEAN
Alors tu ne l'as pas reçu, tant mieux !

PISTOL
Non, je ne l'ai pas reçu, mais comme il s'attendait à trouver de la résistance… quelque chose au bout de son pied, pauvre cher homme ! et qu'il n'y a rien trouvé, il a perdu l'équilibre et est tombé à la renverse !

KETTY
Oh ! mon Dieu !

PISTOL
Tiens, ne m'en parle pas, j'aimerais mieux avoir reçu vingt-cinq coups de pied où il visait, que d'être cause d'un malheur comme celui qui lui est arrivé.

KETTY
S'est-il blessé, mon Dieu ?

PISTOL (pleurant.)
On croit qu'il s'est démis l'épaule.

KEAN
Et l'on a envoyé chercher un médecin ?

PISTOL
Oui… oui…

KEAN
Et qu'a-t-il dit ?

PISTOL
Il a dit qu'il en avait au moins pour six semaines sans bouger de son lit, et pendant ce temps-là toute la troupe se serrera le ventre, voyez-vous, parce que la trompette du père Bob, elle est connue comme l'enseigne de M. Peter. Eh bien ! si demain il ôtait son enseigne, on croirait qu'il a fait banqueroute, et personne n'entrerait plus.

KEAN
Il n'y a pas d'autre malheur que ça ?

PISTOL
Eh ! mais il me semble que c'en est un des malheurs que de jeûner six semaines, quand on n'est pas dans le carême.

KEAN
Peter !

PETER
Votre Honneur ?

KEAN
Une plume, de l'encre, du papier.

KETTY
Que va-t-il faire ?

PETER
Voilà.

KEAN (écrivant.)
Fais porter cette lettre au directeur du théâtre de Covent-Garden. Je lui annonce que je jouerai demain le deuxième acte de Roméo et le rôle de Falstaff, au bénéfice d'un de mes anciens camarades qui s'est démis l'épaule.

KETTY
Ô monsieur Kean !

PISTOL
En voilà un vrai et véritable ami, dans le bonheur comme dans le malheur !

PETER (appelant.)
Philips ! (Un garçon entre.)

KEAN (lui donnant la lettre.)
Tiens, il y a réponse. Eh bien ! tout le monde est-il prêt ?

PISTOL
Tout le monde.

KEAN
Partons alors.

PISTOL
C'est juste ; il ne faut pas faire attendre le vicaire.

KEAN
Oh ! ce n'est pas encore tout à fait pour le vicaire, qui attendrait à la rigueur, c'est pour le souper qui n'attendrait pas. Peter, je te le recommande.

PETER
Soyez tranquille ; je vais voir si la broche tourne.

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