ACTE CINQUIÈME - Scène III
(KEAN seul, puis SALOMON.)
KEAN
Dix heures, et pas un mot d'elle, pas un message, pas une lettre !… ah l vous étiez plus inquiète de votre éventail que de moi, madame… oh ! ce n'est point comme cela qu'on aime, Elena, et c'est douloureux à penser que, si cet accident était réel, je serais mort peut-être à cette heure… sans vous avoir vue… sans avoir entendu parler de vous… Que je suis inquiet !… j'ai son portrait là, sur mon cœur… et je me plains… ne serait-ce pas plutôt que le comte, qui a trouvé cet éventail, à qui la scène scandaleuse que j'ai faite hier au prince de Galles, a dû ouvrir les yeux… oh ! oui, c'est possible, c'est probable, cela est. Oh ! quand je pense qu'à cette heure peut-être, Elena soupçonnée… accusée, menacée, m'appelle à son secours… oh ! je n'y puis plus tenir. Salomon ! Salomon !
SALOMON
Maître !
KEAN
Personne encore ?
SALOMON
Personne.
KEAN
Fais mettre les chevaux à la voiture.
SALOMON
Les chevaux ?
KEAN
Eh ! oui, les chevaux. Qu'y a-t-il là d'étonnant ? Je sors,
SALOMON
Vous sortez ?
KEAN
Newmann !… Newmann !…
SALOMON
Que lui voulez-vous ?
KEAN
Celui-là m'obéira, peut-être.
SALOMON
Et ne savez-vous pas que tout ce que vous voudrez, votre pauvre Salomon le fera ?
KEAN
Eh bien ! va donc alors, et ne me laisse pas souffrir plus longtemps… ne vois-tu pas que j'ai la fièvre, que la tête me brûle, que le sang me bout ?… D'ailleurs, je fermerai les stores, je me contenterai de passer sous ses fenêtres… je… — (Voyant que Salomon n'est pas sorti.)
Eh bien ! pas encore ?
SALOMON
J'y vais, Kean, j'y vais… ah ! l'on frappe.
KEAN
Oui, oui, l'on frappe. Eh bien ! va ouvrir.
SALOMON
Et si c'est elle, vous resterez, n'est-ce pas ?
KEAN (riant.)
Imbécile !
SALOMON
J'y cours.
(Il sort.)
KEAN (s'appuyant au dossier d'une chaise.)
Enfant que je suis… mais, c'est que, Dieu me pardonne, mon cœur bat comme il battait à vingt ans ; je suis réellement insensé… et je n'ai pas besoin de feindre la folie…
SALOMON (paraissant.)
C'est elle, maître ! c'est elle !
KEAN
Elle… Elena !… Elena !… c'est vous !