Scène XI
(Boriquet, Francine, Valencourt)
Boriquet (redescendant, à Valencourt qui, pendant la fin de la scène, a somnolé tout debout)
Eh bien ! mon cher docteur !
Valencourt (sursautant)
Hein ! quoi ! qu'est-ce que c'est ?
Boriquet
Oh ! je vous ai réveillé !
Valencourt
Non… non… je m'étais laissé aller à fermer tes yeux… ce n'est rien !… je suis à vous !…
Boriquet (assis au milieu)
Eh ! bien, mon cher docteur, puisque nous voilà réunis tous les trois, voulez-vous que nous parlions un peu du projet qui m'est si cher ?
Valencourt (assis sur le canapé)
Volontiers… D'ailleurs ce ne sera pas long ! Je ne vous ai pas caché que comme gendre vous me convenez parfaitement ; restait à connaître les intentions de ma fille, je lui ai fait part de votre demande, elle a accédé tout de suite.
Boriquet
Oh ! que c'est aimable !
Valencourt
Elle m'a dit : "Oh ! oui, lui, si tu veux, mais bien vite papa, parce que j'ai parié avec ma cousine que je serais mariée avant la fin de l'année…" Alors, ça lui fait gagner son pari !
Boriquet
Je suis touché de ses sentiments à mon égard.
Valencourt
Et maintenant, je suis rond en affaires !… Vous avez ?…
Boriquet
Trente-huit ans !
Valencourt
Non, de fortune…
Boriquet
Ah ! douze mille livres de rentes tant sur l'État qu'en Ville de Paris,… Chemins de fer,… Suez,… quelques Panamas…
Valencourt (avec une moue)
Oh ! le Panama !
Boriquet
Oui, je sais bien.
Valencourt
Matière à rincer, pour moi, le Panama !
Boriquet
Maintenant, il y a ce que je gagne, qui varie entre quinze et vingt-cinq par an.
Valencourt
Et… des espérances ?
Boriquet
Certainement ! ma sœur ici présente…
Francine (qui est assise de l'autre côté du bureau)
Tu me réalises tout de suite.
Boriquet
Non, je te porte en compte.
Valencourt
Eh bien moi, je donne à ma fille trois cent mille francs, également en rentes sur l'État, Foncières, quelques actions des Mines d'or de Saint-Germain-en-Laye.
Boriquet
Les mines de Saint-Germain-en-Laye, mais ç'a été un coup monté, vous savez ! ça ne vaut rien !
Valencourt
En effet, on m'a dit : "Défaites-vous de ça au plus vite", alors, je vous les constitue en dot.
Boriquet
C'est que…
Valencourt
Oh ! mais il y en a très-peu… et le reste est bon…
Boriquet (en se levant)
D'ailleurs, je n'en fais point une question d'argent !
Valencourt
Allons, puisque c'est comme ça, mon gendre, dans mes bras.
(Il se lève et tend les bras à Boriquet.)
Francine (très émue, s'y précipitant)
Ah ! Monsieur !
Valencourt
Hein ! Non, c'est à votre frère que je disais ça.
Francine
Oui, je sais bien… vas-y, Gérard !
Boriquet
Ah ! merci mon cher beau-père !
Valencourt
Et maintenant pour votre fiancée, bien que je sois sûr de son agrément, il est bon que vous vous déclariez vous-même… nous nous arrangerons pour vous ménager un tête-à-tête, tout à l'heure, et vous pourrez commencer votre cour…
Boriquet
Ah ! mon cher docteur… vous me rendez le plus heureux des hommes… aussi laissez-moi vous dire une chose que j'ai là, sur le coeur… (Midi et demi sonnent à la pendule. La figure de Boriquet se transforme, devient fixe et il se retourne en disant)
: je vais monter le bois.
Francine et Valencourt
Hein !
(Boriquet sort précipitamment avec une allure automatique.)
Francine
Ah ! mon Dieu, ça le reprend !
Valencourt
Qu'est-ce qu'il a ?
Francine (courant et appelant au fond)
Gérard, Gérard… mais il s'en va… il est dans l'escalier.
Valencourt
Ca lui prend souvent ces fantaisies-là ?
Francine (très agitée)
Ah ! Je ne sais pas… Ah ! là ! là !… (Appelant au fond.)
Justin… Justin…