Scène XI
(LES MÊMES , MOINS GENTILLAC , PUIS JOSEPH)
FAUCONNET
Comment ! il m'abandonne ! (Ses yeux rencontrent le visage d'Artémise. A part, découragé.)
Oh ! nom de Dieu !
ARTÉMISE(souriant. )
Eh bien ?
FAUCONNET(souriant avec embarras. )
Eh bien ! Hé ! Hé ! Enfin, nous allons souper.
ARTÉMISE
Dites-moi que vous ne me méprisez pas…
FAUCONNET
Mais non, mais non… Seulement il faut souper vivement, hein ! que nous en finissions !
ARTÉMISE
Allons ! Soupons !
FAUCONNET(s'asseyant. )
C'est ça ! Voyons, qu'est-ce qu'on va manger ?
(Ils sont assis, Artémise à gauche de la table, Fauconnet face au public, laissant la place en face d'Artémise libre pour Gentillac.)
ARTÉMISE(s'asseyant. )
Là.
(Elle porte son binocle sur son nez, à la hauteur des narines.)
FAUCONNET(la voyant avec son binocle. )
Oh ! non, le binocle c'est le coup de grâce ! Oh ! quelle tête elle a avec ça !
ARTÉMISE
Eh bien ! sert-on ?
FAUCONNET(se levant. )
Hein ? Oui, ma cocotte, oui, ma cocotte !… Tenez, voilà le garçon.
(Il descend à droite. Un garçon apportant des huîtres apparaît derrière Joseph. Il sert celles d'Artémise et de Fauconnet, Joseph sert celles de Gentillac. Le Garçon sort.)
JOSEPH
Les huîtres, Monsieur le Baron ?
FAUCONNET
C'est bien ! (Joseph, apercevant Artémise sans masque ne peut réprimer une moue qui n'échappe pas à Fauconnet, lequel n'a pas cessé de l'observer depuis son entrée. Allant à Joseph au moment où celui-ci arrive sans le voir, occupé qu'il est à considérer Artémise, brusquement.)
Elle est laide, hein ?
JOSEPH(sursautant et se défendant de toute appréciation : )
Oh !
FAUCONNET(comme pour s'excuser. )
J'la connais pas, vous savez, j'la connais pas ! (Joseph indique par gestes que cela ne le regarde pas.)
Oh ! mais (à part)
Je m'en fiche, moi, d'elle… Je ne veux pas qu'il croie que… Ah ! non !
(Paraît un sommelier qui apporte le champagne et une carafe frappée ; il place la carafe sur la table et va au fond pour déboucher le champagne.)
ARTÉMISE
Eh bien ?
FAUCONNET(regagnant sa place. )
Hein ? voilà ! (Avec découragement.)
Oh ! non !… il me semble que je soupe avec sa mère !
JOSEPH(à Fauconnet. )
Monsieur, il ne reste plus de cailles en bellevue !
FAUCONNET
Ah ! il ne reste plus !… Ca ne fait rien !… ça ne fait rien. Vous nous donnerez un bon rumsteck aux pommes sautées. (à Artémise)
Hein ! n'est-ce pas, c'est très bon ?
ARTÉMISE(avec une moue. )
Hô !
FAUCONNET
Mais si !… pour la dyspepsie… c'est très sain, vous devez être dyspeptique.
ARTÉMISE
Mais pas du tout.
FAUCONNET
Vous ne l'êtes pas ? Tiens ! Ah ! moi, je le suis… (A Joseph.)
Un rumsteck, allez !…
JOSEPH
Bien, M. le Baron !
(Il sort. Le sommelier, qui a débouché le champagne, place la bouteille sur la table et sort.)
FAUCONNET
Là ! (Il commence à manger des huîtres.)
Ah ! ça ! mais qu'est-ce qu'il fait donc, Gentillac ?… En voilà une façon de nous laisser en tête-à-tête.
ARTÉMISE(tendre. )
C'est peut-être par discrétion !…
FAUCONNET
Oh ! qu'est-ce qu'il croit donc ?
FAUCONNET
Quoi ?… Mon nom ?… Fauconnet.
ARTÉMISE(câline. )
Non ! l'autre ? le petit ?
FAUCONNET
Ah ! Euh ! Jérôme !
ARTÉMISE
Moi, Artémise !
FAUCONNET
Vraiment ! (avec une admiration narquoise)
. Ah ! charmant !
ARTÉMISE(mettant son lorgnon. )
Pendant que nous sommes seuls… parlez-moi franchement.
FAUCONNET(à part. )
Oh !… le lorgnon !
ARTÉMISE
J'ai besoin de le savoir. Est-ce que je vous plais ?
FAUCONNET
Quoi ? Oh ! certainement !
ARTÉMISE
Ne dites pas certainement… dites : "oui ! "
FAUCONNET
Oui, oui !
ARTÉMISE
Pas "oui, oui". Oui.
FAUCONNET(se levant. )
Mais oui !… Oh ! qu'est-ce qu'il fait donc, Gentillac ?… (Voyant Gentillac qui entre.)
Eh ! arrive donc, toi !