Scène VII



(MADAME LA THIBAUDIÈRE, les acteurs précédents.)

MONSIEUR LORMEAU
Bonjour, ma cousine.

MADAME LA THIBAUDIÈRE
Ah ! bonjour, Monsieur, et non pas mon cousin.

MONSIEUR LORMEAU (, les premiers mots à part.)
Autre pratique galante !… (Et à Madame La Thibaudière.)
D'où vient donc ?

MADAME LA THIBAUDIÈRE
C'est qu'on n'ai ni cousin ni cousine à Paris, mon très cher… À cela près, que me voulez-vous ?

MONSIEUR LORMEAU
Est-il vrai que vous avez changé de nom ?

MADAME LA THIBAUDIÈRE
Point du tout… De qui tenez-vous cela ?

MONSIEUR LORMEAU
De Cathos, qui m'a voulu faire accroire que vous avez pris le nom de Marquise de la Thibaudière.

MADAME LA THIBAUDIÈRE
Il est vrai ; mais ce n'est pas là changer de nom : c'est prendre celui de sa terre.

MADAME LÉPINE
Il n'y a rien de si commun.

MADAME LA THIBAUDIÈRE
Oui, mais Monsieur Lormeau ne sait point cela, il faut l'en instruire ; il est dans les simplicités de province. Allez, Monsieur, rassurez-vous, nous n'en serons pas moins bons parents… À propos, vous vis-je hier ? Comment vous portez-vous aujourd'hui ?

MONSIEUR LORMEAU
Vous voyez, assez bien, Dieu merci… mais, ma cousine, encore un petit mot. Feu Monsieur Riquet…

MADAME LA THIBAUDIÈRE (, à Madame Lépine, à part.)
Ce bonhomme, avec sa cousine et son Riquet !
(Madame Lépine sourit.)

CATHOS (, riant tout haut.)
Ha, ha, ha !

MADAME LA THIBAUDIÈRE (, riant aussi.)
Eh bien, que souhaite le cousin de la cousine ?

MONSIEUR LORMEAU (, levant les épaules.)
Madame, ou Marquise… Lequel aimez-vous le mieux ?

MADAME LA THIBAUDIÈRE
Madame est bon, Marquise aussi, toujours l'un ou l'autre ; c'est la règle. Achevez.

MONSIEUR LORMEAU
Feu votre mari s'appelait Monsieur Riquet, n'est-il pas vrai ? il s'ensuit donc que vous êtes la veuve Riquet.

MADAME LA THIBAUDIÈRE (, avec dédain.)
Prenez donc garde ! Veuve Riquet et Marquise n'ont jamais été ensemble. Veuve Riquet se dit de la marchande du coin. Mon mari, au reste, s'appelait Monsieur Riquet, j'en conviens ; mais, depuis sa mort, j'ai hérité du marquisat de la Thibaudière, et j'en prends le nom, comme de son vivant il l'aurait pris lui-même, s'il avait été raisonnable. Allons, n'en parlons plus. Que devenez-vous aujourd'hui ? Avez-vous des nouvelles de mon affaire ?

MONSIEUR LORMEAU
Oui, Marquise ; et je venais vous dire que je vous amènerai tantôt la personne avec qui je travaille à vous marier, pour vous éviter le procès que vous auriez ensemble touchant votre succession ; c'est un homme de distinction qui vous donnera un assez beau rang. Mais, de grâce, ne changez rien aux manières que vous aviez il n'y a pas plus de huit jours ; et laissez là les pratiques galantes, et la coutume des comtesses, marquises et duchesses… Adieu, cousine.

MADAME LA THIBAUDIÈRE
Salut au cousin.

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