Scène II



Les mêmes, Clémence, Madame de Champrinet.

Clémence (accourant du fond au moment où, arrivés à droite, ils font volte-face)
Madame, voilà Madame, la maman de Madame !

Léonie (sans interrompre sa marche)
Ah ! bon, bon !
Madame de Champrinet
(entrant rapidement et arrivant dans leur dos au moment où ils atteignent l'extrême-gauche)
Eh bien ! ma chérie ! Qu'est-ce que j'apprends ! C'est pour aujourd'hui ?
(Ils s'arrêtent tous deux sur place sans se retourner.)

Toudoux (perpendiculairement parallèle à sa femme par rapport au public, lui au-dessus d'elle)
Bonjour, belle-maman !

Madame de Champrinet (excédée déjà par son gendre)
Oui, bonjour ! bonjour ! oh !
(Clémence sort.)

Léonie (à moitié pliée en deux, sans avoir le courage de se retourner vers sa mère)
Ah ! c'est horrible, maman !

Madame de Champrinet
Ma pauvre mignonne !

Léonie (tendant derrière elle sa main gauche à sa mère)
Serre-moi les mains ! maman ! serre-moi les mains !

Madame de Champrinet (tendrement)
Oui ! (Subitement, à son gendre, en l'écartant pour se substituer à lui)
Allez-vous-en donc de là, vous !

Toudoux
Pardon !

Madame de Champrinet (à Léonie)
Chérie, va !

Toudoux (gagnant la droite et allant s'asseoir dans la bergère)
Je ne suis pas fâché de m'asseoir un peu, moi !

Léonie
Marchons ! marchons !

Madame de Champrinet
Oui, oui !
(Elles marchent, gagnant ainsi la droite jusqu'à proximité de la bergère.)

Léonie (s'arrête et regarde sa mère avec un hochement de tête, puis)
Ah ! maman ! si tu savais…

Madame de Champrinet (avec un sourire affectueux)
Mais… j'ai su, mon enfant ! j'ai su !

Léonie
C'est vrai, tu as aussi passé par là, toi, maman !

Madame de Champrinet
Mais oui, ma chérie !… Tu m'as fait connaître ces doux instants…
C'est un dur moment à passer, et puis, après, ce qu'il y a de bon, c'est que ça s'oublie ! C'est le mal joli !

Léonie
C'est égal, tu n'as pas dû avoir aussi mal que moi !

Madame de Champrinet
Mais… aussi mal, ma chérie !

Léonie
Oh ! non, ce n'est pas possible ! de ce temps-là!…

Madame de Champrinet
De ce temps-là, c'était comme aujourd'hui, le progrès n'a rien changé.

Léonie
Oh ! tout de même, si tu pouvais comparer !… (Changeant de physionomie)
Attends !… attends ! ça se calme, ça s'éloigne !

Madame de Champrinet
Ah ! tu vois !

Léonie (avec découragement)
Oh ! mais comme c'est pour recommencer !… (Changeant de ton)
Je voudrais m'asseoir !
(Un temps.)

Madame de Champrinet (qui est tout contre la bergère à hauteur de l'extrémité des genoux de Toudoux, faisant passer sa fille pour la faire asseoir sur la bergère)
Oui ! oui !(Rencontrant Toudoux dans ce mouvement)
Mais enlevez-vous donc de là, vous !

Toudoux (se levant vivement et s'écartant extrême-droite)
Pardon !

Madame de Champrinet (tenant toujours sa fille)
Vous voyez votre femme qui souffre, qui veut s'asseoir, et vous faites le veau dans un fauteuil !

Toudoux
Je fais le veau ?

Madame de Champrinet
Oui, le veau ! (A Léonie)
Assieds-toi, ma chérie !

Toudoux
Je n'ai jamais vu un veau dans un fauteuil.

Madame de Champrinet
Oui, oh ! c'est bien le moment de faire de l'esprit. Vous êtes content de votre oeuvre ?

Toudoux (sincère)
Je serai content quand ce sera fini; pour le moment, je ne suis pas à la noce.

Madame de Champrinet
Vraiment ! et ma fille, est-ce qu'elle y est, à la noce ? Vous n'êtes pas
(à la noce, mais vous avez un petit air malin et satisfait !…)

Toudoux
Moi ?

Léonie (assise à moitié pliée sur elle-même et sans songer au sens de ses paroles)
Oh ! ne l'attrape pas, maman, va ! le pauvre garçon, il n'y est pour rien.

Madame de Champrinet (étonnée)
Ah !

Toudoux
Comment "Je n'y suis pour rien" ?

Léonie
Hein ?… Non, je veux dire qu'il n'y a pas eu préméditation.

Toudoux (rassuré)
Ah ! bon !

Léonie
C'est arrivé parce que ça devait arriver !… et, comme fatalement un jour ou l'autre !…

Madame de Champrinet
Justement !… Il aurait mieux valu que ce fût l'autre !… Cette façon de mettre les bouchées doubles !… c'est inconvenant !… Enfin, pour le monde !… la simple
(éducation !…)

Toudoux
Je regrette, belle-maman, de ne pas vous avoir consultée !…

Madame de Champrinet (qui a enlevé son manteau va le poser sur la chaise à gauche de la table à manger, et redescend en apportant la chaise de droite de la même table)
Spirituel !

Toudoux
Non. Seulement, comme, quand je me suis marié, vous m'avez dit
"J'espère que vous allez bientôt me donner des petits-enfants…"

Madame de Champrinet
C'est possible ! Mais vous n'aviez pas besoin de mettre ma fille dans cet état !

Toudoux (malicieux)
Je ne pouvais pas autrement !

Madame de Champrinet (qui s'est assise près de sa fille sur la chaise apportée)
Ma pauvre chérie, va !

Léonie
Ne me plains pas, va, maman ! C'est notre lot, à nous !

Madame de Champrinet
Quel stoïcisme ! (Sans transition)
As-tu dit qu'on fasse bouillir de l'eau ?

Léonie
Oui, maman, c'est fait ! Tu n'as pas prévenu papa, j'espère !

Madame de Champrinet (sans commisération)
Comment ? Si ! tout de suite ! J'ai envoyé l'avertir au cercle.

Léonie
Oh ! Pourquoi ? il aurait mieux valu lui annoncer quand tout aurait été fini, ça lui aurait épargné l'émotion.

Madame de Champrinet
Pourquoi donc ça ? Pourquoi n'aurait-il pas sa part… comme les autres ?

Léonie
Oh ! ce pauvre papa !

Madame de Champrinet
Oh ! ce pauvre papa ! ce pauvre papa ! est-ce que je ne suis pas aussi intéressante que lui ? On a toujours trop d'égards pour les hommes, c'est comme ça qu'ils deviennent égoïstes.

Toudoux (entre ses dents)
Merci.

Léonie (gentiment)
Papa, c'est pas un homme !

Madame de Champrinet
Pour moi… c'en est un ! (Voyant le visage de Léonie qui se contracte)
Ça recommence ?

Léonie
Oui.

Madame de Champrinet
Veux-tu marcher ?

Toudoux
Oui, c'est ça, marchons.

Léonie (soupe au lait)
Non, j'veux pas marcher.

Toudoux
Eh bien ! non, ne marchons pas !

Léonie (à sa mère)
Elle est petite, celle-là ! c'est supportable !

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