Le fils de Giboyer
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ACTE TROISIEME - SCÈNE X

Emile Augier

ACTE TROISIEME - SCÈNE X


(LE COMTE LA BARONNE.)

LE COMTE (à part.)
Ciel ! la baronne !

LA BARONNE
Vous, monsieur le comte ? et seul? Pourquoi m'a-t-on introduite ici ?

LE COMTE
Ces dames étaient là à l'instant et vont revenir.

LA BARONNE
A la bonne heure. Quant à M. Maréchal, il est invisible.

LE COMTE
Il travaille, m'a-t-on dit.

LA BARONNE
A quoi, mon Dieu?

LE COMTE
Probablement à son discours.

LA BARONNE
Je le croyais fait. C'est justement à ce sujet que je viens. J'espère que madame Maréchal m'aidera à forcer la consigne qui dérobe son époux aux regards des mortels.

LE COMTE
Je n'en doute pas.

LA BARONNE
Ni moi non plus, (A part.)
Il est d'une candeur… inesti mable. (Haut et s'asseyant.)
Voilà trois fois en très peu de jours que le ciel vous met sur mon chemin : cela ne ressemble-t-il pas à une volonté de nous faire lier connais sance ?

LE COMTE (debout.)
On le dirait.

LA BARONNE
Peut-être doit-il résulter de notre rencontre quelque chose d'heureux pour notre cause. J'en ai comme un pressentiment; et vous?

LE COMTE
Ce serait bien glorieux pour moi, madame.

LA BARONNE
Vous avez sur le front le signe des appelés.

LE COMTE
Vous êtes trop bonne.

LA BARONNE
Le ciel emploie volontiers les mains pures. Le célibat est une grande vertu, vous le savez.

LE COMTE
Hélas ! je vais me marier.

LA BARONNE
Vous marier ?

LE COMTE
Oui, madame, j'épouse mademoiselle Fernande.

LA BARONNE (plus froide.)
On peut aussi faire son salut dans le mariage. Mes compliments, monsieur le comte; votre future est charmante et justifie bien la violence de votre passion.

LE COMTE
La violence ?

LA BARONNE
Dame! il n'y a qu'une passion violente qui puisse excuser…

LE COMTE
Mais le rôle politique de M. Maréchal n'est-il pas une noblesse ? Je ne crois pas déroger en m'alliant à notre champion.

LA BARONNE (à part.)
Ah ! monsieur d'Auberive ! C'est bon à savoir. (Haut.)
Alors, c'est un mariage de convenance que vous faites?

LE COMTE
Oui, madame ; mon cousin le désire beaucoup.

LA BARONNE
C'est parfait. Je ne sais pas d'ailleurs de quoi je me mêle, et vous devez me trouver fort indiscrète. Ne vous en prenez qu'à une sympathie peut-être inconsidérée; mais, quand je vous ai vu, il m'a semblé que c'était un ami qui me venait. (Lui tendant la main.)
Me suis-je trompée ?

LE COMTE
Oh ! madame !
(Il porte sa main vers ses lèvres.)

LA BARONNE (retirant sa main avec un sourire.)
Non… ce n'est pas une galanterie banale que je vous demandais… Cette petite main de femme est digne d'être serrée virilement, vous lui rendrez un jour cette justice. — Vous regardez mon bracelet ?

LE COMTE
Votre…? Oui…

LA BARONNE (le détachant et le lui donnant.)
Il est d'un travail assez curieux…

LE COMTE
Très curieux.

LA BARONNE
Le médaillon surtout. Il contient des cheveux de mon mari.

LE COMTE
Quoi ! ces cheveux blancs ?

LA BARONNE
Oh! ma vie a été austère, monsieur le comte. A l'âge de dix-sept ans, j'épousais un vieillard, pour accomplir les dernières volontés de ma bienfaitrice.

LE COMTE
Votre bienfaitrice ?

LA BARONNE
Orpheline au berceau, sans fortune, j'avais été recueillie par une parente éloignée, la douairière de Pfeffers, créature angélique, qui m'éleva comme sa fille. Quand elle sentit approcher sa fin, elle appela près d'elle son fils, le baron Pfeffers, alors sexagénaire, et, nous prenant à chacun une main dans ses mains défaillantes : "Ma mort, nous dit-elle, va vous enlever votre unique amie; permettez-moi d'unir vos deux solitudes, et je mourrai tranquille. —0 mon fils! je confie son enfance à votre vieillesse, et votre vieillesse à son enfance. — Ce n'est pas un mari que je te donne, ajouta-t-elle en se tournant vers moi, c'est un père !"

LE COMTE (très ému.)
Et, en effet, il fut un père pour vous ?

LA BARONNE
Le père le plus respectueux. Mais je ne sais pourquoi je m'abandonne â ces souvenirs… Rendez-moi mon bracelet.

LE COMTE (à part.)
C'est un ange !

LA BARONNE
Mon Dieu ! qu'on est maladroite d'une seule main ! Venez à mon aide, monsieur le comte ! (Elle tend son bras nu au comte. — Le comte essaye de rattacher la bracelet.)
VOUS n'êtes pas plus adroit que moi. Voyons si nous en viendrons à bout avec trois mains. (Elle aide le comte. Leurs yeux se rencontrent; le comte éperdu se détourne. — A part.)
Pauvre garçon! qu'on vienne maintenant lui faire des histoires sur mon compte, on sera bien reçu ! (Haut.)
Accompagnerez-vous votre future chez moi ce soir ?

LE COMTE
Ma future ?

LA BARONNE
Je le veux. Je n'ai jamais été heureuse; mais j'aime le bonheur des autres. Ce doit être charmant, l'éclosion d'un amour pur dans une jeune âme. Mademoiselle Fernande doit vous adorer.

LE COMTE
Si elle aime quelqu'un…

LA BARONNE (vivement.)
Ce n'est pas vous ? qui donc ?

LE COMTE (revenant à lui.)
Personne. Je, voulais dire qu'elle m'épouse pour se marier.

LA BARONNE (à part.)
Il y a quelqu'un… Je saurai qui. (Haut.)
Et à quand le mariage?

LE COMTE (tristement.)
Le premier ban sera publié demain, et je vais tout à l'heure acheter la corbeille.

LA BARONNE (à part.)
On a vu manquer des affaires plus avancées. (Haut.)
Il ne me reste plus qu'à vous féliciter.


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