(LES MÊMES, MAXIMILIEN.)
GIBOYER (à Maximilien, qui s'arrête un peu confus en le voyant.)
Eh bien, oui, c'est moi.
MAXIMILIEN (à Marécbal.)
Je vois, monsieur, que je n'ai plus à vous annoncer mon départ. Je viens prendre congé de vous et de… votre famille.
MARÉCHAL (jouant la sévérité.)
Ma famille, monsieur, applaudit d'autant plus à votre résolution, qu'elle en connaît la véritable cause.
MAXIMILIEN (à Giboyer.)
Que signifie…?
GIBOYER (joyeux.)
J'ai tout avoué.
MAXIMILIEN
De quel droit livres-tu mon secret ?
MARÉCHAL
Ce n'est pas sa faute : je le lui ai extirpé, si j'ose m'exprimer ainsi. Ah ! mon gaillard, vous vous permettez d'aimer ma fille ! vous n'êtes pas gêné.
MAXIMILIEN
Monsieur…
MARÉCHAL (se levant.)
Eh bien, moi… je vous la donne.
MAXIMILIEN
Ah ! monsieur, cette raillerie…
GIBOYER
Il ne raille pas !
MAXIMILIEN (très ému.)
Quoi! monsieur, malgré ma pauvreté?
MARÉCHAL
Votre mérite est une fortune.
MAXIMILIEN
Malgré ma naissance?
GIBOYER (anéanti, à part.)
Je l'avais oubliée!
MARÉCHAL
Qu'est-ce qu'elle a donc de particulier , votre naissance?
MAXIMILIEN
Ne le savez-vous pas? Je ne porte que le nom de ma mère.
MARÉCHAL
Quoi? comment? Père inconnu !… (A Giboyer.)
El vous n'en disiez rien?
GIBOYER
Hélas! je n'y songeais plus !
MARÉCHAL
Vous n'y songiez plus, saprelotte ! il fallait y songer. Ce n'est pas un détail indifférent!… —. Si je brave les préjugés… je les respecte ! et pour le monde…
GIBOYER
Pour le monde, mon neveu est un orphelin, et personne ne s'avisera de vérifier son état civil.
MARÉCHAL
Au fait, c'est vrai. Personne n'ira vérifier… Et puis c'est un énorme avantage d'épouser un orphelin. On n'épouse que son mari, pas de famille !
MAXIMILIEN
Pardon, monsieur, j'ai mon père.
GIBOYER ( vivement.)
Peu importe ! il n'a aucun droit sur lui, ne l'ayant pas reconnu.
MAXIMILIEN
S'il n'a pas de droits devant la loi, il en a dans mon coeur. Tu m'entends?
MARÉCHAL (à Giboyer.)
Qu'est-ce que c'est que ce père? Comment s'appelle-t-il ?
MAXIMILIEN
Giboyer.
MARÉCHAL
Giboyer? L'auteur des biographies, le pamphlétaire?
GIBOYER (courbant la tête.)
Oui.
MARÉCHAL ( à Maximilien.)
Mais, mon cher ami, à un pareil père vous ne devez rien, ni devant Dieu ni devant les hommes. Vous êtes trop heureux qu'il ne vous ait pas empêtré de son nom…
MAXIMILIEN ( avec éclat.)
C'est pour cela qu'il ne m'a pas-reconnu, et non pour se soustraire aux devoirs de la paternité. Il les a accomplis avec une abnégation surhumaine. Il m'a fait litière de son corps et de son âme. Qu'on le juge comme on voudra, je suis sa vertu, et ce n'est pas à moi de le renier !
GIBOYER ( d'une voix tremblante.)
S'il t'entendait, il serait trop payé ! mais laisse-le achever sa tâche ! puisqu'il a consacré sa vie à aplanir la tienne, ne lui inflige pas cette douleur, la seule qu'il n'ait jamais prévue, de devenir obstacle lui-même; ne lui refuse pas l'amère volupté du dernier sacrifice, (A Maréchal, d'une voix ferme.)
Je vous le promets en son nom, monsieur, il disparaîtra, il s'en ira… bien loin !
MAXIMILIEN
Où il ira, j'irai : c'est mon devoir, c'est ma joie. Je ne le séparerai pas du seul homme qui puisse entourer sa vieillesse de respect et s'agenouiller à son lit de mort.
MARÉCHAL
Ces sentiments-là vous honorent; mais ils sont absurdes, n'est-il pas vrai, monsieur de Boyergi ?
GIBOYER
Oui. .
MARÉCHAL
Vous pleurez ? Eh ! mon Dieu, croyez-vous que, moi-même, je ne sois pas ému? Je le suis! Je rends justice à ce brave monsieur Giboyer, et je lui serrerais bien volontiers la main… dans un coin; mais je ne peux en faire ma société, quand le diable y serait. Ne me demandez pas l'impossible.
MAXIMILIEN
Je ne demande rien, monsieur.
MARÉCHAL (à part.)
C'est souvent une manière de tout obtenir ; je la connais. (Haut.)
Je vous déclare que je suis au bout de mes concessions. Choisissez entre votre père, puisque père il y a… et ma fille.
MAXIMILIEN
Mais, monsieur, je n'ai même pas le droit de délibérer.
GIBOYER
Je t'en supplie, ne t'inquiète pas de lui. Tu ne connais pas ces dévouements farouches qui se repaissent d'eux-mêmes. Va, le plus doux compagnon que tu puisses donner à sa vieillesse, c'est la pensée que tu es heureux.
MAXIMILIEN
Plus il me pardonnerait mon ingratitude, moins je me la pardonnerais, moi ! — Non.
GIBOYER (tristement.)
N'en parlons plus.
MARÉCHAL ( avec humeur.)
N'en parlons plus. Allez en Amérique, et grand bien vous fasse ! Vous n'aimez pas ma fille, voilà tout.
MAXIMILIEN (tombant dans le fauteuil du milieu avec un sanglot.)
Je ne l'aime pas !
MARÉCHAL (de la porte.)
Viens, Fernande. (Fernande, qui a suivi toute la scène du fond du théâtre, s'avance lentement vers Maximilien et, lui prenant la tète entre ses mains, lui donne un baiser au front. Puis elle se redresse et regarde son père.)
Es-tu folle? Me voilà bien maintenant! Vous triomphz. monsieur, vous êtes maître de la situation; ilne vous reste plus qu'à amener M. Giboyer chez moi et qu'à l'installer dans ma robe de chambre.
FERNANDE (à Giboyer.)
Je serai heureuse, monsieur, que vous m'appeliez votre fille.
MARÉCHAL
Quoi ! c'est lui ?
FERNANDE
Tu ne l'avais pas deviné ?
Elle tend ses mains il Giboyer, qui les couvre de baisers.
MARÉCHAL
Mais alors, il n'y a rien de changé dans une situation… que j'acceptais. Ce que je vous demande, monsieur de Boyergi, c'est de n'y rien changer.
GIBOYER
Je n'en ai pas envie.
MARÉCHAL ( à part.)
J'aurai deux secrétaires au lieu d'un.
GIBOYER (à part.)
C'est égal, je partirai pour l'Amérique après le mariage.
LE DOMESTIQUE (annonçant.)
M. le marquis d'Auberive.
La pièce "Le Post-Scriptum" d'Émile Augier est une comédie en prose qui mêle légèreté et analyse des mœurs. Elle met en scène les intrigues amoureuses de personnages de la bourgeoisie...
La pièce "La Contagion" d'Émile Augier, publiée en 1866, est une comédie sociale qui explore les travers et les hypocrisies de la société bourgeoise de l'époque. Elle met en lumière...