Le fils de Giboyer
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ACTE CINQUIÈME - SCÈNE V

Emile Augier

ACTE CINQUIÈME - SCÈNE V


(GIBOYER MARÉCHAL.)

MARÉCHAL
Eh bien, mon cher Boyergi, vous venez chercher mes remerciements?

GIBOYER
Je vous apporte mes félicitations.

MARÉCHAL
Je les accepte, parbleu ! Mais il en revient une bonne part à votre neveu, entendez-vous? il a admirablement rendu mes idées, beaucoup mieux que je ne l'aurais fait moi-même, je ne me le dissimule pas.

GIBOYER
Vous êtes trop modeste.

MARÉCHAL
Non, mon cher, je ne suis que juste. Ce jeune homme ira loin, c'est moi qui vous le dis et vous pouvez m'en croire; je m'y connais. Je veux me l'attacher et me charger de sa fortune.

GIBOYER
Je vous remercie beaucoup, mais j'ai d'autres desseins sur lui ; je l'emmène en Amérique.

MARÉCHAL
Vous l'emmenez?

GIBOYER
Oui ; j'ai accepté la direction d'un grand journal à Philadelphie, et j'ai besoin du concours de Maximilien.

MARÉCHAL
Mais, sapristi! moi aussi, j'en ai besoin; j'en ai plus besoin que vous ! J'ai une grande position à soutenir, une grande cause à défendre.

GIBOYER
Vous êtes bien de taille à suffire à la tâche.

MARÉCHAL
Je n'en sais rien! Ce jeune homme m'est très utile, je ne m'en défends pas.

GIBOYER
Utile, soit; mais indispensable, non.

MARÉCHAL
Pardonnez-moi! Je suis habitué à sa manière de travailler; il est habitué à la mienne; il me complète, e'est mon bras droit, c'est lui qui tient ma plume. Je suis content de son style et n'en veux pas changer. —Et puis, je Vaime, ce garçon ! Je veux le former sous mes yeux, à mon école. Où trouvera-t-il un apprentissage pareil .à celui qu'il ferail chez moi?

GIBOYER
La question n'est pas là.

MARÉCHAL
Où est-elle? S'agit-il d'appointements? Vous les fixerez vous-même. Que gagnerait-il en Amérique? Je lui donne le double.

GIBOYER
Mon Dieu, monsieur…

MARÉCHAL
Il veut son indépendance? Il l'aura! Personne ne saura qu'il m'appartient… j'aime autant ça! Voyons, si vous lui portez le moindre intérêt, vous devez accepter mes offres. Elles sont belles !

GIBOYER
Si belles, que je ne puis excuser mon refus qu'en vous disant toute la vérité. J'emmène Maximilien avec moi surtout pour le dépayser, pour l'arracher à un amour sans issue.

MARÉCHAL
Il est amoureux? Parbleu, le beau malheur J nous l'avons tous été, et nous voilà!

GIBOYER
Ce n'est pas une amourette, monsieur; c'est une passion.

MARÉCHAL
Quoi? Une jeune fille qu'il ne peut pas épouser ?

GIBOYER
Précisément.

MARÉCHAL
Que le diable emporte les jeunes gens ! (A part.)
Et ma réponse… après-demain. (Haut.)
— Quand partez-vous?

GIBOYER
Demain soir.

MARÉCHAL
Donnez-moi au moins huit jours.

GIBOYER
Pas un seul, monsieur; je suis attendu.

MARÉCHAL
Sapristi ! N'y aurait-il pas moyen d'arranger ce maudit mariage ?

GIBOYER
C'est tellement impossible que nous ne le désirons même pas.

MARÉCHAL
La famille a donc des prétentions par-dessus les maisons? Car enfin votre neveu est charmant de sa personne; il a un avenir magnifique, un présent très acceptable, puisque je lui donne… Oui, j'irai jusqu'à vingt mille francs. Que diable ! c'est une position superbe ! Qu'est-ce donc qu'il leur faut, à ces imbéciles-là?

GIBOYER
Si je vous disais le nom de la jeune personne, vous n'insisteriez pas.

MARÉCHAL
C'est donc une Montmorency?

GIBOYER
Mieux que cela, monsieur ! Pour en finir d'un mot, c'est mademoiselle Fernande.

MARÉCHAL (très pincé.)
Ma fille?… Mon secrétaire se permet de lever les yeux sur ma fille ?

GIBOYER
Non, monsieur, puisqu'il part pour l'Amérique.

MARÉCHAL
Bon voyage ! elle n'est pas pour ses beaux yeux, mon cher monsieur.

GIBOYER (s'inclinant comme pour prendre congé.)
Je le sais. Puisse-t-elle être heureuse avec M. le comte d'Outreville !

MARÉCHAL
D'Outreville? Ah bien, oui!… (Ramenant Giboyer en scène.)
Encore une obligation que je vous ai! Tout est rompu, grâce à l'attitude que vous m'avez fait prendre.

GIBOYER (à part.)
Je m'en doutais bien.

MARÉCHAL ( arpentant la scène avec agitation.)
Ma pauvre enfant ! Un mariage annoncé partout ! la corbeille achetée, les bans publiés ! Comment la marierai-je à présent? Et tout cela par votre faute, monsieur.

GIBOYER (immobile et froid.)
Cette rupture ne vous préoccupait guère, quand je suis arrivé.

MARÉCHAL
Hélas! je comptais sur ma gloire pour en réparer l'effet. Ma gloire! autre crève-coeur! Vous me livrez sans défense aux ennemis que je me suis faits ! Je suis la bête noire d'un parti puissant et rancunier ! Les quolibets vont pleuvoir sur mon silence. Je n'ai plus qu'à me retirer de la scène politique, et aller planter mes choux, Le désastre est complet ! le père est encore plus compromis que la fille.
(II s'assied à droite.)

GIBOYER
Bah ! une riche héritière n'est jamais assez compromise pour ne pas trouver un mari.

MARÉCHAL (abattu.)
Oui, quelque gandin sans fortune qui la prendra pour son argent et qui la rendra malheureuse.

GIBOYER
C'est vrai, vous avez raison… je ne songeais pas à ça. Un jeune homme désintéressé qui l'époUser'ait pour elle-même… c'est l'oiseau rare. El puis, en supposant que vous mettiez la main dessus, voilà mademoiselle votre fille tirée d'embarras; mais vous, non.

MARÉCHAL
Parbleu!

GIBOYER
A moins que votre gendre ne fût de force à remplacer mon neveu auprès de vous ; et cela ne se trouve pas non plus dans le pas d'un cheval.

MARÉCHAL
A qui le dites-vous !

GIBOYER
D'ailleurs, c'est bien assez d'un nom-fine dans le secret de votre travail.

MARÉCHAL
C'est déjà trop.

GIBOYER
Comment sortir de cette impasse ?

MARÉCHAL (. se frappant le front.)
Mais que nous sommes bêles ! ça va tout seul.
Il va sonner à la cheminée.

GIBOYER (à part.)
Avec un peu d'aide.

MARÉCHAL (à part, redescendant en scène.)
Ça me fera le plus grand honneur. D'ailleurs, je ne peux pas faire autrement. (Au domestique qui est entré.)
— Priez mademoiselle de venir me parler.

GIBOYER
Vous avez une idée?

MARÉCHAL
Ce ne sont jamais les idées qui me manquent, mon cher, c'est le style. Je vais vous étonner.

GIBOYER
Que méditez-vous donc?

MARÉCHAL
Ne cherchez pas .: vous ne trouveriez jamais. Ils sont rares, les hommes qui conforment leurs actes à leurs paroles; j'en suis un. —Je suis tout d'une pièce, moi, carré par la base : ce que je pense, je le dis; ce que je dis, je le fais.

GIBOYER ( à pan.)
C'est étonnant, comme je suis roué, quand il ne s'agit pas de moi.


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