Le fils de Giboyer
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ACTE PREMIER - SCÈNE IV

Emile Augier

ACTE PREMIER - SCÈNE IV


(LE MARQUIS LE COMTE.)

LE COMTE
Est-ce que cette dame est mariée ?

LE MARQUIS
Oui, mon cousin; j'ai été très malade… Rassurez-vous; il n'y paraît plus.

LE COMTE
Je respire! Et quelle maladie avez-vous eue, de grâce?

LE MARQUIS
La baronne est veuve. Je vous remercie de l'intérêt que vous lui témoignez.

LE COMTE (à part.)
C'est un original.

LE MARQUIS (à part.)
Mon héritier me déplaît. (Haut.)
Causons de nos affaires : je n'ai pas d'enfant ; vous êtes mon plus proche parent, et mon intention, comme je vous l'ai écrit, est de vous laisser tous mes biens.

LE COMTE
Et je vous promets de reconnaître vos bienfaits en en faisant un usage agréable à Dieu.

LE MARQUIS
Vous en ferez l'usage qu'il vous plaira. — Mais j'ai mis deux conditions à ce que vous appelez mes bienfaits; j'espère qu'elles ne vous répugnent ni l'une ni l'autre?

LE COMTE
La première étant d'ajouter votre nom au mien, je la regarde comme une faveur.

LE MARQUIS
Très bien. — Et la seconde, de prendre une femme de mon choix, comment la regardez-vous ?

LE COMTE
Comme un devoir filial.

LE MARQUIS
Le mot est fort.

LE COMTE
Il n'est que juste, monsieur; car je puis dire qu'au reçu de votre adorable lettre, je vous ai voué tous les sentiments d'un fils. ,

LE MARQUIS
Comme ça?… Tout de suite ?…, Pan?

LE COMTE
A ce point que je ne me suis plus reconnu le droit de disposer de ma main sans votre aveu, et que je n'ai pas hésité à rompre un très riche mariage que M. de Sainte-Agathe m'avait ménagé dans Avignon.

LE MARQUIS
Les choses n'étaient sans doute pas très avancées?

LE COMTE
Il n'y avait que le premier ban de publié.

LE MARQUIS
Rien que cela! — Et sous quel prétexte avez-vous rompu?

LE COMTE
Mon Dieu, ce n'était pas une famille qui méritât beaucoup de ménagements : des enrichis. J'ai la bourgeoisie en horreur.

LE MARQUIS
Diable! comment allez-vous vous arranger? Moi qui vous destine justement une bourgeoise !

LE COMTE
Ah! ah! charmant!

LE MARQUIS
Elle est très riche et très belle, mais très roturière.

LE COMTE
Serait-ce sérieux?

LE MARQUIS (se levant.)
Tellement sérieux, que je fais de ce mariage la condition sine qua non de mon héritage.

LE COMTE
Permettez-moi de vous dire, monsieur, que je ne comprends pas quel intérêt…

LE MARQUIS
Il est fort simple : c'est une jeune fille que j'ai vue naître et à laquelle je porte une affection quasi paternelle. Je veux que ses enfants héritent de mon nom; voilà tout.

LE COMTE
Elle est du moins orpheline?

LE MARQUIS
De mère seulement.

LE COMTE
C'est déjà quelque chose. Les belles-mères sont la grande pierre d'achoppement des mésalliances.

LE MARQUIS
Je dois pourtant vous dire que le père s'est remarié et que sa seconde femme est parfaitement vivante. Mais elle tient à la plus haute noblesse (A part.)
par ses prétentions (Haut.)
et signe Aglaé Maréchal, née de la Vertpillière.

LE COMTE
Et le père?

LE MARQUIS
Ancien maître de forges, industrie noble, comme vous savez; bien pensant, député de noire bord.

LE COMTE
Il s'appelle, dites-vous, Maréchal?

LE MARQUIS
Maréchal.

LE COMTE
C'est bien court. N'a-t-il pas quelque nom de terre à prendre pour corriger la crudité de la mésalliance?

LE MARQUIS
J'ai trouvé mieux que cela. Vous épouseriez haut la main la fille de Cathelineau?

LE COMTE
Certes! mais quel rapport?…

LE MARQUIS
Entre un soldat et un orateur? La parole est une épée aussi. D'ici à huit jours, votre beau-père sera le Vendéen de la tribune.

LE COMTE
Bah!

LE MARQUIS
J'ai obtenu de nos amis qu'il porterait la parole pour nous dans la session qui va s'ouvrir. — Chut ! c'est encore un secret.

LE COMTE
Que ne commenciez-vous par là, monsieur ! Il n'y a plus mésalliance. La bonne cause anoblit ses champions. — Et vous dites que la jeune fille est riche?

LE MARQUIS
Elle vous apportera de quoi attendre patiemment mon héritage.

LE COMTE
Puisse-t-il ne m'arriver jamais! — Et elle est belle?

LE MARQUIS
C'est tout simplement la plus belle personne que je connaisse, mon cher, (A part.)
Je m'en vante. (Haut.)
Vous la rendrez heureuse, n'est-ce pas?

LE COMTE
J'ose m'y engager, monsieur. Je comprends tous les devoirs qu'impose le mariage; ma jeunesse a été une longue préparation à ce nœud sacré, et je puis dire que je m'y présenterai sans tache.

LE MARQUIS
Hein?

LE COMTE
Demandez à M. de Sainte-Agathe, qui connaît mes plus secrètes actions et mes plus secrètes pensées.

LE MARQUIS
Je vous en fais bien mon compliment; mais votre innocence doit être comme celle d'Oreste, mon bon ami : elle doit oommencer à vous peser? Je l'espère, du moins.

LE COMTE (baissant les yeux.)
Je l'avoue.

LE MARQUIS
A la bonne heure!

LE COMTE
Oserais-je vous demander si ma future est brune?

LE MARQUIS
Ah! ah ! cela vous intéresse?

LE COMTE
Il est permis, il est même recommandé de chercher dans une épouse un, peu de ces traits périssables qui prêtent une grâce de plus à la vertu. C'est du moins l'avis de M. de Sainte-Agathe.

LE MARQUIS
C'est juste : il y a longtemps que nous n'en avions parlé. Dites-moi, cousin, est-ce aussi M. de Sainte-Agathe qui vous habille?

LE COMTE
Pourquoi ?

LE MARQUIS
C'est que vous avez l'air d'un donneur d'eau bénite. Je ne peux pas vous présenter dans ce costume déplorable; vous direz à mon, valet de chambre de vous envoyer mon tailleur.

DUBOIS ( entrant.)
M…Maréchal est là; faut-il le faire entrer?

LE MARQUIS
Je crois bien! (Au comte.)
Il vient à propos.

LE COMTE
Connaît-il vos projets?

LE MARQUIS
Pas encore, et je ne m'en ouvrirai pas à lui de quelques jours, (A part.)
Il faut laisser se faire un certain travail dans son esprit.


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