(LES MÊMES, LA BARONNE; elle a une tapisserie roulée dans son manchon.)
MADAME MARÉCHAL
Ah! baronne!…
LA BARONNE
Ce n'est pas voire jour, madame; mais je n'ai pas voulu passer devant votre porte sans frapper, bien que j'espère toujours vous voir chez moi demain soir.
MARÉCHAL
Nous irions plutôt sur la tête!
LA BARONNE
Vous allez bien, monsieur l'orateur?
MARÉCHAL
Prêt au combat, madame.
LA BARONNE
Au triomphe. — J'avais aussi un petit service à vous demander, madame.
MADAME MARÉCHAL
Je regrette qu'il soit petit.
LA BARONNE
Nous sommes toutes deux patronnesses de l'OEuvre des petits Chinois; j'ai placé tous mes billets et on m'en demande encore. Pouvez-vous m'en céder une dizaine?
MARÉCHAL
On se dispute moins les siens que les vôtres, chère baronne.
MADAME MARÉCHAL (à part.)
Brutal! (haut.)
Je vais voir ce qui m'en reste.
LA BARONNE
Il faut vous déranger? Vous me les enverrez.
MADAME MARÉCHAL
Non, j'aime mieux vous les donner tout de suite, c'est plus sûr : on me les enlèverait peut-être.
MARÉCHAL (bas.)
Tu les as encore tous.
MADAME MARÉCHAL (de même.)
Vous ne dites jamais que des maladresses.
(Elle sort.)
LA BARONNE (s'approchant da métier de Fernande.)
Ah! vous êtes aussi de la Société des tabernacles, mademoiselle ?
FERNANDE
Non, madame.
LA BARONNE
Comment ! ce que vous faites là n'est pas un carreau pour le tapis des fidèles ?
FERNANDE
C'est tout ce qu'on voudra.
LA BARONNE
C'est pourtant l'encadrement réglementaire; voyez plutôt.
(Elle déroule la tapisserie qu'elle a dans son manchon.)
FERNANDE (à part.)
Tiens !
MARÉCHAL
C'est votre ouvrage ?… Ah ! charmant !
FERNANDE
Il est très joli ! Cela a dû vous coûter beaucoup… de temps, n'est-ce pas ?
LA BARONNE
Mon Dieu, non.
MADAME MARÉCHAL (revenant.)
Il ne m'en reste que neuf; les voici.
MARÉCHAL (lui montrant la tapisserie de la baronne.)
Regardez donc, ma chère.
MADAME MARÉCHAL (à Fernande)
Ah ! vous l'avez retrouvé ?
MARÉCHAL
Que dites-vous?
MADAME MARÉCHAL
Ah! bien, oui, c'est le carreau que Fernande croyait perdu.
MARÉCHAL
Vous rêvez, ma chère.
MADAME MARÉCHAL
Il est bien reconnaissable… Voici les trois fautes. N'est-ce pas, Fernande ?
FERNANDE
C'est pourtant vrai.
LA BARONNE (à part.)
Aïe !
MAXIMILIEN (à part.)
Bon !
MARÉCHAL ( à part.)
Sapristi ! quel pataquès !
LA BARONNE (menaçant Fernande du doigt.)
Ah ! malicieuse, vous aviez reconnu votre ouvrage, et vous vous moquiez de moi, en me demandant s'il m'avait coûté beaucoup de temps !
FERNANDE
Je voulais vous faire avouer que vos bonnes oeuvres ne vous laissent pas le loisir de tricoter.
MARÉCHAL (à part.)
Cette enfant a de l'esprit quand il le faut.
MADAME MARÉCHAL
Mettez-moi au courant, de grâce.
LA BARONNE
Quelle est la femme du monde qui fait sa tapisserie elle-même et ne se coiffe qu'avec ses cheveux ? Ce sont des supercheries si générales et si bien admises, que, quand notre fausse natte se détache devant nos amis, nous la rattachons en riant; (EIIC rouie son carreau.)
et c'est ce que je fais.
MARÉCHAL (à part.)
Charmante ! adorable ! on n'a pas plus de grâce !
LA BARONNE
Ce qui m'étonne dans cette aventure, ce n'est pas que ma tapisserie ne soit pas mon ouvrage, puisque je l'achète; c'est qu'elle soit le vôtre, mademoiselle.
MARÉCHAL
Au fait, oui, comment a-t-elle pu vous être vendue?
MADAME MARÉCHAL (à Fernande.)
J'ai toujours soupçonné la fidélité de votre femme de chambré.
FERNANDE
Pauvre Jeannette ! elle est incapable…
MADAME MARÉCHAL
Ce n'est pas la première fois que vos petits ouvrages se perdent; il est probable qu'elle en fait commerce.
LA BARONNE
Et que la pauvre vieille à qui nous les achetons est une receleuse. Encore une déception de la charité !
MARÉCHAL
C'est très grave. Faites venir Jeannette, que je l'interroge.
FERNANDE
Non, mon père, je vous expliquerai plus tard ce grand mytère.
MADAME MARÉCHAL
Pourquoi pas tout de suite?
MARÉCHAL
Faites venir Jeannette.
FERNANDE (très rouge.)
Eh bien, puisqu'on m'y oblige, c'est moi qui donne ces bagatelles à la. vieille Hardouin.
MAXIMILIEN (à part.)
Tiens, tiens !
MADAME MARÉCHAL
Ce n'est pas la peine de rougir comme vous faites.
LA BARONNE
Aussi, madame, pourquoi la force-t-on à montrer sa .belle âme?
FERNANDE
Ces choses-là sont ridicules quand elles ne sont pas secrètes.
MADAME MARÉCHAL
C'est de la charité romanesque.
MARÉCHAL
N'as-tu pas assez d'argent pour faire l'aumône?
FERNANDE (avec impatience et les larmes aux yeux.)
Tous les pauvres n'acceptent pas l'aumône. Cette vieille femme est fière, elle est habituée à vivre de son aiguille ; sa vue baisse, et je viens en aide à ses yeux, voilà tout. Il n'y a rien là de romanesque, et, en vérité, je ne comprends pas qu'on me tourmente pour si peu de ehose.
MARÉCHAL
Allons, calme-toi ; il n'y a pas grand mal.
MAXIMILIEN (à demi voix.)
Je crois bien !
MARÉCHAL
Plaît-il?
MAXIMILIEN
Je lis parfaitement; je vais me mettre â la besogne.
(Il sort.)
LA BARONNE
C'est votre secrétaire ? Il est distingué. — Adieu, chère madame, je vous quitte très mortifiée de la petite contrariété dont j'ai été la cause pour mademoiselle Fernande. Je vais porter à Saint-Thomas-d'Aquin mon brandon de discorde et soyez tranquille, mademoiselle, je ne révélerai pas votre part de collaboration.
LE DOMESTIQUE (annonçant.)
M. le comte d'Outreville.
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