Le fils de Giboyer
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ACTE QUATRIÈME - SCÈNE II

Emile Augier

ACTE QUATRIÈME - SCÈNE II


(M. COUTURIER LA BARONNE.)

LA BARONNE (à M. Couturier.)
Comment se porte Votre Seigneurie?

M. COUTURIER
Et Votre Grâce?

LA BARONNE
Un peu abasourdie.

M. COUTURIER
Et de quoi ?
(Ils s'asseyent à gauche sur un fauteuil et une chaise.)

LA BARONNE
Je vous le donne en dix, je vous le donne en cent… J'ai eu, cette après-midi, la visite de ce pauvre M. d'Aigremont.

M. COUTURIER
Pourquoi ce pauvre ? Est-ce qu'il est malade?

LA BARONNE
Pis que cela! vous allez voir! L'entretien est venu naturellement sur la politique, sur notre plan de campagne, sur Maréchal, sur le discours.

M. COUTURIER
Eh bien ?

LA BARONNE
Ne regrette-t-il pas qu'on ne l'en ait pas chargé lui-même ?

M. COUTURIER
Lui, un protestant? Il est fou.

LA BARONNE
Il l'est, je me le suis dit tout de suite. C'est d'autant plus inquiétant qu'il raisonne sa folie.

M. COUTURIER
Comment cela?

LA BARONNE
Il dit que les dissidences religieuses, comme les dissidences politiques, doivent s'effacer devant l'ennemi commun, que toutes les Eglises doivent se donner la main pour combattre la Révolution, qu'un protestant plaidant notre cause aurait plus de poids, que ce serait un grand exemple, que… Je ne sais plus, moi! des extravagances !

M. COUTURIER
Permettez!… tout cela n'est pas si extravagant, madame; c'est, au contraire, d'une portée de vues qui m'étonne chez M. d'Aigremont.

LA BARONNE (naïvement.)
Vrai?

M. COUTURIER
Cette idée-là n'est pas de lui, il faut qu'on la lui ait suggérée. Je m'étonne qu'un esprit aussi élevé que le vôtre n'en ait pas été frappé comme moi…

LA BARONNE
Je ne suis qu'une femme et je m'humilie devant votre haute raison.

M. COUTURIER
Notre discours, prononcé par un protestant, ce serait déjà un premier triomphe !

LA BARONNE
Ah ! mon Dieu !

M. COUTURIER
Pourquoi cette exclamation ?

LA BARONNE
J'espère que vous n'allez pas le retirer à mon pauvre Maréchal ?

M. COUTURIER
Non, sans doute; mais il se prononcera plus d'un discours sur la question.

LA BARONNE (vivement.)
Donnez les autres à qui vous voudrez : c'est le premier qui porte coup. L'attache du grelot est l'opération capitale.

M. COUTURIER
C'est vrai.

LA BARONNE
N'est-ce pas?

M. COUTURIER
Tellement vrai, que toute autre considération pâlit devant celle-là.

LA BARONNE
Qu'entendez-vous?…

M. COUTURIER
Chère baronne, au nom de notre cause, je vous supplie d'abandonner votre protégé.

LA BARONNE
Hélas! vous méprenez par où je suis sans défense. Je ne sais rien refuser au nom que vous invoquez. Mais y a-t-il vraiment un intérêt assez transcendant pour que nous nous décidions à affliger cet excellent homme? C'est horriblement dur, mon ami.

M. COUTURIER (se levant.)
Quelle faute de n'avoir pas songé plus tôt à d'Aigremonl! Mais aussi comment supposer qu'il accepterait? Nous voilà engagés avec Maréchal maintenant.

LA BARONNE (se levant.)
C'est notre créature, de plus, et, à ce titre, il a bien quelques droits sur nous.

M. COUTURIER (finement.)
Pardon, le contraire serait plus juste.

LA BARONNE
J'ai donc fait encore une maladresse!… Pauvre Maréchal ! •— Je sais bien ce qu'on pourrait lui dire : on pourrait lui faire comprendre que ce n'est pas une question de personnes; que vous-même, à sa place, vous n'hésiteriez pas à vous effacer devant l'intérêt général.

M. COUTURIER
Et, là où je n'hésiterais pas, il serait plaisant que M. Maréchal hésitât, vous me.l'avouerez.

LA BARONNE
C'est égal, je ne saurais vous dire combien cette espèce d'exécution m'est pénible; mais enfin mon amitié pour Maréchal est obligée de se rendre à vos arguments.

M. COUTURIER
Je n'attendais pas moins de votre patriotisme.

LA BARONNE
Tous les membres du comité ne seront pas aussi désintéressés que moi, je vous en avertis. Vous trouverez de la résistance chez M. d'Auberive.

M. COUTURIER
Oui, il est fort attaché à Maréchal.

LA BARONNE
D'autant plus qu'il fait épouser mademoiselle Fernande à un sien cousin que vous verrez ici.

M. COUTURIER
Vraiment! Ce fils des preux consent à croiser sa race avec nous ?

LA BARONNE
Il conjecture probablement que la petite personne a du sang bleu dans les veines… Mais cela ne nous regarde pas. Vous comprenez quel prix il attache à colorer la mésalliance par une quasi noblesse de position.

M. COUTURIER
Merci du renseignement. Je vais de ce pas recueillir toutes les autres adhésions ; elles forceront la sienne.

LA BARONNE (regardant à gauche.)
Madame Maréchal ! — Mon Dieu ! que tout cela est douloureux !

M. COUTURIER
Préparez-la doucement; moi, je vais faire mon devoir, comme je l'ai toujours fait, sans hésitation et sans faiblesse.

LA BARONNE
Ame antique !
(M. Couturier sort par une des portes du fond.)
(Madame Maréchal entre par l'autre.)


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