(LA BARONNE FERNANDE, sortant du grand salon.)
LA BARONNE
Vous le voyez, mademoiselle, je ne mentais pas en disant que mon salon n'est pas gai.
FERNANDE
Il est très intéressant, madame ; vous avez une réunion de célébrités de tous les régimes.
LA BARONNE
Réunion… dites union! Mais ces célébrités ne composent pas un bouquet delà première fraîcheur, je l'avoue. Aussi suisse résolue à le raviver par l'introduction de quelques jeunes femmes bien pensantes, et j'en attends ce soir même deux ou trois aussi courageuses que vous.
FERNANDE
Courage facile, madame.
LE DOMESTIQUE (annonçant.)
M. le vicomte de Vrillière.
(Le vicomte va saluer la baronne, qui lui donne la main.)
LA BARONNE
Votre mère va mieux, puisque vous voilà?
LE VICOMTE DE VRILLIÈRE
Tout à fait rétablie, grâce au ciel !
LA BARONNE
Allez donc bien vite rassurer cette bonne madame de la Vieuxtour. Il n'y a pas un instant qu'elle me demandait des nouvelles.
LE VICOMTE DE VRILLIÈRE
Excellente femme !
(Il salue et entre dans le salon du fond.)
LA BARONNE
Ce quadragénaire est le baby de notre cénacle… Le besoin de quelques jeunes gens se fait aussi sentir; mais c'est bien délicat : je ne veux pas l'ombre de la coquetterie chez moi. Je crains bien d'en être réduite à de petits messieurs sans conséquence, comme le secrétaire de votre père, par exemple.
FERNANDE
Vous n'avez pas eu la main heureuse pour votre coup d'essai. M. Gérard n'est rien moins qu'un petit monsieur sans conséquence; c'est, au contraire, un homme du premier mérite, à ce qu'on dit du moins.
LA BARONNE
Je ne conteste pas; j'entendais sans conséquence auprès des femmes. Une femme d'un certain monde ne peut pas faire attention à un homme de rien, n'est-il pas vrai?
FERNANDE
Vous allez me trouver bien plébéienne, madame, de croire qu'un homme d'honneur n'est pas un homme de rien.
LA BARONNE (à part.)
Est-ce assez clair? (Haut.)
Par un homme de rien, j'entends un homme sans naissance. Au surplus, M. Gérard est charmant; il a une distinction naturelle bien rare, même chez nous. S'il entrait dans un salon en même temps que tel gentilhomme, à les entendre annoncer tous les deux, c'est assurément à lui qu'on appliquerait le grand nom. Il n'est évidemment pas fait pour être secrétaire.
FERNANDE
Aussi ne l'est-il plus.
LA BARONNE
Ah ! depuis quand ?
FERNANDE
Depuis hier.
LE DOMESTIQUE (annonçant.)
M. le chevalier de Germoise.
(Le chevalier va saluer la baronne, qui lui tend la main.)
LA BARONNE
Vous arrivez des derniers. '
LE CHEVALIER
Heureux que vous le remarquiez, madame.
LA BARONNE
M. d'Auberive commençait à s'impatienter.
LE CHEVALIER
Son boston n'aime pas attendre. Je vais m'offrir à ses coups…
(Il salue et entre dans le salon.)
LA BARONNE
Et pourquoi n'est-il plus secrétaire?
FERNANDE
Pour la raison que vous disiez : il n'est pas fait pour l'être.
LA BARONNE ( à part.)
Elle baisse les yeux. (Haut.)
Je ne sais pourquoi je m'intéresse à lui. A-t-il une autre position?
FERNANDE
Non, madame, pas que je sache; et vous seriez bien bonne, puisqu'il vous intéresse, de vous employer en sa faveur. Vous êtes toute-puissante.
LA BARONNE
C'est beaucoup dire; mais j'aurai du malheur si je ne réussis pas à vous être agréable.
FERNANDE
Ah! je vous en serai bien reconnaissante,, madame.
LE DOMESTIQUE (annonçant.)
M. Couturier de la Haute-Sarthe.
LA BARONNE
Pardon! voici un grand personnage à qui j'ai deux mots à dire… (Reconduisant Fernande.)
Et puis, si je vous confisque ainsi à mon profit, je me brouillerai avec M. d'Outreville.
FERNANDE
Croyez-vous ?
LA BARONNE (arrivée au fond.)
Je m'occuperai de ce pauvre jeune homme.
FERNANDE
Merci !
(Elles se serrent la main. Fernande rentre dans le salon.)
LA BARONNE (à part.)
Et d'une ! — Maintenant coupons court à la gloire de M. Maréchal.
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