(LE MARQUIS MARÉCHAL.)
MARÉCHAL
Êtes-vous sûr que votre cousin soit dans son bon sens? Cathelineau! le Vendéen de la tribune!
LE MARQUIS
C'est un bavard qui m'a défloré le plaisir de vous apprendre une grande nouvelle. Mais d'abord, mon cher Maréchal, êtes-vous bien sûr de la solidité de votre conversion? Ne sentez-vous plus dans votre coeur le moindre virus libéral?
MARÉCHAL
Ce doute m'outrage.
LE MARQUIS
Avez-vous complètement renoncé à Voltaire et à ses pompes?
MARÉCHAL
Ne me parlez pas de ce monstre! C'est lui et son ami i Rousseau qui ont tout perdu. Tant que les doctrines de ces vauriens-là ne seront pas mortes et enterrées, il n'y aura rien de sacré, il n'y aura pas moyen de jouir tranquillement de sa fortune. Il faut une religion pour le peuple, marquis.
LE MARQUIS ( à part.)
Depuis qu'il n'en est plus.
MARÉCHAL
J'irai plus loin : il en, faut une même pour nous autres. Revenons franchement à la foi de nos pères.
LE MARQUIS (à part.)
Ses pères !… acquéreurs de biens nationaux !
MARÉCHAL
On ne viendra à bout de la Révolution qu'en détruisant l'Université, ce repaire de philosophie; c'est mon opinion.
LE MARQUIS
Eh bien, mon ami, réjouissez-vous : les opérations contre l'Université vont s'ouvrir dans cette session même.
MARÉCHAL
Vous me comblez de joie !
LE MARQUIS (lui mettant la main sur l'épaule.)
Ne croyez-vous pas que, dans cette mémorable campagne, la voix de notre orateur aura quelque retentissement et qu'on pourra l'appeler le Vendéen de la tribune?
MARÉCHAL
Quoi! marquis…
LE MARQUIS
Oui, mon ami, c'est à vous que nous avons pensé pour ce rôle magnifique.
MARÉCHAL
Est-il possible? Mais c'est l'immortalité que vous m'offrez!
LE MARQUIS
Quelque chose comme cela.
MARÉCHAL
Du haut de la tribune, dominer l'assemblée du geste et de la voix, envoyer sa pensée aux deux bouts de la terre sur les ailes de la Renommée!… Mais, sapristi! croyez-vous que je saurai parler?
LE MARQUIS
J'étais justement en train d'admirer votre éloquence à part moi.
MARÉCHAL
Entre quatre-z-yeux, ça va encore… Mais, en public, je n'oserai jamais.
LE MARQUIS
Affaire d'habitude ! la meilleure façon d'apprendre à nager, c'est de se jeter à l'eau.
MARÉCHAL
C'est qu'il ne s'agit pas de barboter ici.
LE MARQUIS
Nous vous attacherons des vessies sous les bras. Votre premier discours étant une sorte de manifeste, nous vous Se donnerons tout fait ; vous n'aurez qu'à le lire.
MARÉCHAL
À la bonne heure ! Du moment qu'il ne faut que du courage et de la conviction… On ne saura pas dans le public que le discours n'est pas de moi?
LE MARQUIS
A moins d'une indiscrétion de votre part.
MARÉCHAL
Vous ne m'en croyez pas capable, j'espère. — Et quand me confiera-t-on le manuscrit. ?
LE MARQUIS
Dans quelques jours
MARÉCHAL
Je ne dormirai pas d'ici là. Je puis vous avouer ma faiblesse, à vous : j'aime la gloire.
LE MARQUIS
C'est la passion des grandes âmes.
MARÉCHAL
Suis-je tout à fait des vôtres à présent?
LE MARQUIS
Tout à fait.
MARÉCHAL
Eh bien, permettez-moi de vous appeler Condorier, comme vous m'appelez Maréchal. C'est un enfantillage, si vous voulez…
LE MARQUIS
Faites donc. Vous me rendrez mon titre quand vous en aurez un.
MARÉCHAL
Ah ! voilà comme je comprends l'égalité : c'est la bonne, c'est la vraie.
DUBOIS (entrant.)
Un homme assez mal mis prétend que M. le marquis lui a donné rendez-vous.
LE MARQUIS
Dans un moment, (A Maréchal.)
Je suis fâché de vous renvoyer, mon cher; mais c'est une grosse affaire qui m'arrive.
MARÉCHAL
Faut-il tant de façons entre gens de notre sorte?… A bientôt, mon bon Condorier, à bientôt !
(Il sort. )
LE MARQUIS ( à Dubois.)
Faites entrer maintenant, (seul.)
Imbécile ! Et dire qu'il faudra encore que je le fasse baron ! (souriant.)
.Cet homme-là ne saura jamais tout ce que j'ai fait pour lui.
DUBOIS (annonçant.)
M. Giboyer !
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