Scène XV



(LES MÊMES, COCAREL)

COCAREL (qui les considère depuis un moment. )
Ah ! parfait !

LAURENCE
Mon mari ! (À Catulle qui est toujours sur les genoux.)
Mais relevez-vous donc, vous ! Vous voyez bien que vous me perdez.

CATULLE
Oh ! ne craignez rien, ce n'est que votre mari.

COCAREL (railleur, descendant entre eux. )
Allons, Madame, voilà qui est bien… Il paraît que je vous dérange.

LAURENCE (effrayée de ce qu'elle a fait. )
Oh ! Sosthène ! ne crois pas… je t'en supplie !…

COCAREL
Ah ! à d'autres, Madame.

CATULLE
Comment ?… Mais… Sosthène !…

COCAREL (bas et vivement. )
Chut ! tais-toi… C'est un stratagème.

LAURENCE
Voyons, mon ami,… écoute-moi,… je vais tout te dire. Voyons,… Soso…

COCAREL
Il n'y a pas de Soso !… Ainsi, voilà tout ce que vous trouvez pour votre défense : "Voyons Soso".

CATULLE
Ah ça !… qu'est-ce qu'il raconte ?

COCAREL
Savez-vous bien que je puis vous traîner devant les tribunaux ?… Je pourrais vous tuer même tous les deux. Le Code m'en donne le droit,… car votre cas est prévu. Oui, Madame. (À Catulle.)
Oui, Monsieur. Lisez le Code pénal, article 300 je ne sais pas combien. Ma femme vous donnera le numéro, sa mère le lui a appris.

LAURENCE
Ah ! mon Dieu, Sosthène !…

COCAREL
Oui, je pourrais tout cela ; mais ce serait causer un scandale que je redoute… (À Catulle.)
Monsieur, vous savez ce qu'il vous reste à faire.

LAURENCE
Hein !

CATULLE (ahuri.)
Comment ?

COCAREL (bas)
Tais-toi donc ! Je te dis que c'est pour rire. (Haut.)
Demain, Monsieur, au petit jour, au bois de Vincennes…

LAURENCE
Ah ! Dieu du ciel ! il veut se battre avec cet enfant ! il veut le tuer ! Ah ! ce serait horrible ! (À Cocarel.)
Non, vous ne ferez pas cela, je ne veux pas !…

COCAREL
Ah ! Madame,… ceci me regarde.

LAURENCE (marchant vers lui. )
Mais encore une fois, je vous répète…

COCAREL
Non.

LAURENCE (brusquement, levant les bras au ciel. )
Ah ! vous m'écouterez, Monsieur…

COCAREL (dramatique. )
Allez, Madame, tout est fini entre nous ! Je rentre dans mon appartement, et demain je retourne chez ma mère.

LAURENCE
Voyons, Sosthène, tout cela n'est pas sérieux, voyons ! Je vous jure qu'il ne s'est rien passé et que nous sommes innocents.

COCAREL
Ah ! cessez cette comédie, Madame ! Dieu merci, je vois clair !… Comment, je vous trouve là, tous les deux, seul à seul, Catulle à vos genoux !

LAURENCE
Et qu'est-ce que cela prouve ?

COCAREL
Comment, qu'est-ce que cela prouve ? Voilà un homme et une femme en tête à tête au milieu de la nuit, l'homme est aux genoux de la femme, ou la femme sur les genoux de l'homme, n'importe ! On arrive ! On les surprend ! Et vous voudriez me faire croire qu'ils ne sont pas coupables ? Allons donc, Madame, vous savez bien que vous les condamneriez vous-même.

LAURENCE
Ah ! Sosthène, je vous comprends ! Oui, j'ai eu tort, je n'aurais pas du douter de toi !… J'aurais dû attendre tes explications !… Enfin, je sais,… j'ai été trop méfiante. Eh bien ! je te demande pardon, mais je te jure que je n'ai rien à me reprocher.

COCAREL
Eh ! parbleu, je le sais bien…
(Laurence se jetant dans ses bras, ils s'embrassent.)

CATULLE (qui les regarde, ahuri, après un temps. )
Non, moi je ne m'en mêle pas… parce que je n'y comprends rien du tout.

COCAREL (à Laurence. )
Cela t'apprendra dorénavant à ne plus te méfier de ton mari, à ne plus l'accuser à la légère… Es-tu bien rassurée, au moins, maintenant ?

LAURENCE
Moi ? Oh ! tout à fait !… seulement… tu me raconteras tout ! hein ? tout de même.

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