Scène XII



(LAURENCE, COCAREL)

LAURENCE
Et maintenant à nous deux, Monsieur !

COCAREL
Ouf !

LAURENCE
Veuillez m'expliquer votre conduite.

COCAREL
Eh bien ! voilà ! je vais tout te dire.

LAURENCE
Vous mentez ! taisez-vous !

COCAREL
Mais je n'ai encore rien dit.

LAURENCE
Parbleu ! votre silence vous condamne.

COCAREL
Voyons, Loulou ?…

LAURENCE
Il n'y a pas de Loulou !… Ainsi, voilà tout ce que vous trouvez à dire pour votre défense… ! "Voyons Loulou", et vous trouvez que cela suffit ?

COCAREL
Eh bien ! non, voilà… à première vue, n'est-ce pas, cela a l'air un peu… eh bien ! pas du tout…Tu vas voir,… c'est très naturel.

LAURENCE
Ah bien ! je serais curieuse…

COCAREL
Toute notre justification,… la voilà ! nous… allions… prendre notre bain…

LAURENCE
Ah ! vous alliez !… en même temps ?

COCAREL
Mais non !… comment veux-tu ?… la baignoire est trop petite !…

LAURENCE
Hein !…

COCAREL
Non, ce n'est pas ce que je voulais dire… Enfin, tiens ! justement nous étions en train de tirer à la courte paille pour savoir qui passerait le premier. Tu vois !

LAURENCE
Ah çà ! tu es cynique… comment ! je vous prends en flagrant-délit, je vous trouve, là, tous les deux en tête à tête, au milieu de l'obscurité, et vous voudriez me faire croire !…

COCAREL (avec conviction)
Ah ! quelle fâcheuse idée j'ai eu de vouloir prendre ce bain !

LAURENCE
Savez-vous bien que je puis vous traîner devant les tribunaux !… Lisez le Code, article 339.

COCAREL (digne. )
Comment, tu connais le Code ?

LAURENCE
Ma mère a eu la précaution de m'apprendre les divers articles qu'il est bon de connaître dans un ménage.

COCAREL
Une fière idée qu'elle a eu là, Madame ta mère !…

LAURENCE
Je vous défends d'insulter ma mère.

COCAREL
Moi, je l'insulte !… mais tu es folle !

LAURENCE
Dès demain, je la mets à la porte, votre Adélaïde…

COCAREL
Mon Adélaïde ?…

LAURENCE
Oui, Monsieur !… et c'est moi qui vous la chercherai, votre femme de chambre,… une femme sérieuse,… une femme mûre,… et je sais où j'irai vous la prendre.

COCAREL
À Sainte-Périne ?

LAURENCE
Eh ! bien oui, Monsieur, à Sainte-Périne, s'il le faut !… Je ne vous engage pas à plaisanter !… allez ! mais vous faites erreur…

COCAREL
Ah ! c'est agaçant à la fin… (Brusquement, levant les bras au ciel.)
Mais, voyons, quand je te dis…

LAURENCE
Ah ! mon Dieu ! mon mari a levé la main sur moi !

COCAREL
Moi !

LAURENCE
Ah ! je savais bien que j'avais épousé un brutal !… Vous voulez me battre, à présent ?… Oh ! comme je suis malheureuse !

COCAREL
Mais enfin, raisonnons !

LAURENCE
Laissez-moi, Monsieur !… tout est fini entre nous ; je rentre dans mon appartement et demain je retourne chez ma mère.

COCAREL
Chez sa mère ? Elle connaît le refrain…

LAURENCE
Adieu, Monsieur…
(Elle rentre chez elle.)

COCAREL
Laurence ! voyons, Laurence !
(Laurence lui ferme la porte au nez.)

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